C’est une poète à l’écoute d’un univers vibrant, autour et en elle, que l’on retrouve dans Mes forêts. Le livre d’Hélène Dorion s’inscrit dans la suite logique de son récit accompagné de photos Le temps du paysage (Druide, 2016), son recueil de poèmes Comme résonne la vie (Bruno Doucey, 2018) et son roman Pas même le bruit d’un fleuve (Alto, 2020).

Embrassant la vie secrète des arbres avec un regard large, la poète effeuille les couches de sens pour en arriver à l’essence des espèces animale, végétale et minérale. Elle écoute le vent dans les branches, la pluie sur les feuilles, les bruissements, les piaillements, même le silence. Elle se reconnaît dans la lumière changeante, mais réconfortante de la forêt.

Plus qu’un retour aux sources, elle crée une symbiose avec la transcendance, à mille lieues des « chiffres pour ne rien dire » et de « tout un siècle à défaire le paysage ». Dans ce livre luxuriant émerge son besoin viscéral de reprendre contact avec l’organique forêt où l’arbre sait résister.

L’inquiétude du temps présent se ressent tout au long de cette promenade dans les bois. Les menaces existent. Elles sont urbaines ou humaines, tissées de mépris et de vengeance. Devant le chaos du monde, Hélène Dorion se demande si l’humanité saura « gravir la montagne jusqu’à nous », d’autant plus qu’elle dit ignorer ce qui se tait en elle « quand la forêt cesse de rêver ».

Plusieurs vers affichent cette beauté universelle. L’écriture permet à la poète de retisser des liens avec elle-même à travers la sève, les branches et le feuillage. Notre lecture renvoie à ce sentiment mêlé de peur et de bonheur que l’on éprouve en marchant en forêt. Ce sentiment, aussi, d’y vivre, ne serait-ce qu’un instant, une portion d’éternité.

« Il se fait tard pour la nuit humaine » et « le temps jamais ne s’arrête », écrit-elle encore au moment même où, dans l’actualité, des scientifiques croient qu’il n’y a ni début ni fin au temps. Nos forêts le savaient depuis toujours du haut de leur âge millénaire.

La dernière partie du recueil parcourt d’ailleurs l’Histoire humaine avec une lucidité sidérante, mais notre petite existence peut encore accueillir de grandes choses si elle reprend racine. Nous prenons tous et toutes place dans cette fragile coquille de bois avec l’autrice qui n’a jamais écrit que par amour de ses semblables.

Mes forêts est autant un compendium qu’une confession. La poète réussit à se lire dans l’écorce et les nœuds dont elle est faite, dont elle s’est faite. Dense et complexe. Comme elle l’écrit à propos des arbres, Hélène Dorion est un « être occupé à devenir sa forme singulière ».

Mes forêts

Mes forêts

Éditions Bruno Doucey

128 pages

8/10