Karl Ove Knausgaard s’est fait connaître avec Min Kamp (Mon combat), une autobiographie en six volumes dont le titre évoquait l’œuvre de Hitler. Depuis, ce phénomène de la littérature norvégienne a publié quatre livres de vignettes mêlant journal de bord et critique sociale, dont le premier, En automne, vient de paraître en français. La Presse l’a joint à son domicile londonien.

Votre série de quatre livres de vignettes porte le nom des quatre saisons. Pourquoi ?

Je les ai écrits comme un journal de bord durant la quatrième grossesse de la mère de mes enfants. Quand j’étais dans la vingtaine, j’ai lu un livre d’un écrivain français dont j’oublie maintenant le nom, qui écrivait des textes sur des objets. J’ai souligné presque chaque phrase du livre. Je m’en suis souvenu quand j’ai décidé de faire ce journal pour ma fille. Je me levais à 4 h avant que mes trois autres enfants se lèvent, j’écrivais un texte, au fil des quatre saisons d’une année, et je l’envoyais à mon éditeur.

N’est-ce pas injuste pour vos autres enfants ?

J’ai cinq enfants maintenant. Oui, peut-être. Mais je voulais seulement capturer un moment dans ma vie.

Dans En automne, vous écrivez que votre enfance ne vous intéresse plus. C’est frappant après toutes les confidences que vous avez faites dans Mon combat. Et pourtant, au fil de ce nouveau livre, vous évoquez quand même des souvenirs d’enfance.

Les souvenirs sont toujours très concrets pour moi. Je ne m’intéresse plus autant à mon enfance, j’ai écrit et réfléchi sur mon père et ma mère dans Mon combat, mais les souvenirs restent toujours là. D’autant qu’avoir des enfants ramène un tas de souvenirs d’enfance au premier plan.

Vous écrivez quand même encore sur vos parents, notamment quand vous êtes ému de voir comment l’une de vos filles ressemble à votre mère et comment vous ressemblez à votre père.

À un certain point, on comprend que dans la vie de nos parents, il y a des circonstances qui expliquent leurs actions. Ça nous permet de pardonner. Mon père avait une présence très forte dans ma vie, dont je devais m’éloigner. Quand j’ai écrit Mon combat, je voulais le comprendre et me comprendre. Puis j’ai eu des enfants, et j’ai eu de la difficulté à envisager comment ma présence allait les affecter.

On a beaucoup connu vos enfants et la mère de vos enfants à travers Mon combat et en anglais dans les quatre livres écrits pour votre quatrième enfant, mais maintenant vous êtes divorcé et vivez à Londres plutôt qu’en Suède, votre patrie d’adoption. Voyez-vous vos enfants souvent ?

Oui, j’ai une très bonne relation avec leur mère qui est restée en Suède. On fait une garde partagée.

Vous écrivez que l’adolescence est un moment où on se demande qui on est. Dans Mon combat, vous avez souvent parlé de l’androgynie de chanteurs des années 1970, Davie Bowie par exemple. Que pensez-vous de la vogue actuelle qui encourage les adolescents à afficher leur identité et leur orientation sexuelles ?

Pour moi, c’était super d’avoir Bowie comme modèle. Mais j’ai souffert adolescent de ne pas être conforme au modèle de la masculinité virile qui avait cours en Norvège alors. Petit, j’aimais les fleurs et je pleurais facilement. Mes camarades de classe riaient de moi à cause de ça, parce que j’étais féminin. J’ai passé ma jeunesse à essayer de me conformer à cette masculinité. Puis je suis devenu père et j’ai dû composer avec l’impact qu’un bébé avait sur cette masculinité. C’est seulement maintenant que je suis à l’aise avec la fluidité de ma masculinité et de ma féminité. Alors je pense que c’est super si un ado peut déclarer qu’il préfère tel ou tel pronom.

Vous terminez En automne sur une note spirituelle : on voit l’âme de la personne aimée à travers ses yeux. Plus tôt, vous écrivez que le pardon rabaisse la personne qui est pardonnée. Tout cela rappelle l’époque de votre enfance où vous étiez très chrétien, prompt à tendre l’autre joue...

Pour ce qui est du pardon, honnêtement je ne me souviens plus ce qui m’est passé par la tête, ça fait sept ans. Mais d’une manière générale, je pense qu’on ne peut faire l’économie de la question de la spiritualité, du sentiment qu’il y a quelque chose qui nous dépasse dans notre vie, qu’on ne peut appréhender. C’est pour ça que mes romans, les premiers que j’ai écrits en 20 ans, se passent dans un univers magique. La spiritualité est un écho de l’intimité. C’est un mystère. Je me souviens d’un essai sur Rembrandt que j’ai lu où l’auteur faisait une digression sur les passagers dans son compartiment de train. L’un des passagers était particulièrement dégoûtant. Et pourtant, selon le christianisme, il valait autant que n’importe qui. Je pense que c’est une vérité très difficile à appréhender. Ça me donne le vertige.

En automne

En automne

Denoël

269 pages