Dans son nouveau livre, Femme forêt, Anaïs Barbeau-Lavalette parle d’enracinement, de l’importance de prendre soin des gens et de reconnexion avec le territoire. Parce que c’est ce qu’il faut pour être la femme qui reste.

« Je suis libre ensemble, moi. » C’est par cette phrase puissante que se terminait La femme qui fuit, en 2015. Dans Femme forêt, qui s’est imposé comme une espèce de suite, Anaïs Barbeau-Lavalette est allée jusqu’au bout de la signification du « libre ensemble », avec toute l’honnêteté dont elle est capable.

« Ce livre est une célébration du vivant et de la mémoire, et un questionnement sur nos racines, et comment on fait pour être celle qui reste », dit Anaïs Barbeau-Lavalette, qui admet d’emblée que parler de ce projet, certainement son plus intime, est « très fragilisant ».

Mais elle ne se défile pas, la voix douce et le regard franc. Comme elle est allée au bout des choses dans ce livre qu’elle n’a pas « décidé » d’écrire.

La littérature est un accident dans ma vie, ce n’est pas mon métier naturel. Je ne m’étais pas donné comme devoir après La femme qui fuit de réécrire. Mais je sais que c’est l’espace où je me sens le plus libre, et qu’inévitablement, j’allais avoir envie d’y retourner.

Anaïs Barbeau-Lavalette

Le rapport entre les humains et la nature, les liens visibles et invisibles entre le passé et le présent, la célébration de la féminité et de la maternité, la filiation et l’amour, tous ces thèmes faisaient partie de ses réflexions depuis longtemps. Mais Anaïs Barbeau-Lavalette a été propulsée au cœur du sujet pendant la pandémie : pendant près d’un an, elle a vécu avec son amoureux et leurs trois enfants, ainsi qu’un couple d’amis et leurs deux enfants, coupés du monde dans une maison de campagne.

À partir de ce qui pourrait ressembler à un cauchemar pour bien des gens – elle rigole –, Anaïs Barbeau-Lavalette a fait un objet de beauté, lumineux et poétique, qui raconte les moments de joie et de bonheur sans en gommer les aspects « plus rugueux ».

« Tu sais, c’est le seul pouvoir que j’avais, pour vrai. Je me suis questionnée à un moment donné. Je me disais : “Mais qu’est-ce que je crisse avec ça ?” Je l’ai fait pour mes enfants, pour laisser l’empreinte la plus profonde possible. »

Lumière

Anaïs Barbeau-Lavalette raconte donc cette année d’apprentissage – « Je suis une touriste de la ruralité ! Ç’a été assez brutal de me rendre compte à quel point j’étais analphabète par rapport à la nature » –, parfois « écorchante », et pendant laquelle ils se sont « pilé sur les pieds solide », mais où elle a appris à célébrer la vie dans ses plus petits détails.

Il aurait pu ne rien avoir à raconter. Tout dépend du regard. Le livre aurait pu s’intituler Les miracles ordinaires. Ce moment d’immobilité m’a permis d’avoir du recul sur les gestes du quotidien. Ils ont la valeur que je vais leur donner.

Anaïs Barbeau-Lavalette

Un parti pris pour la lumière « qui demande plus de maturité et de courage » que la colère et la revendication, une prise de conscience « qu’on va mourir » et qui amène à prendre tout ce que la vie offre « avec gourmandise » : Anaïs Barbeau-Lavalette a fait beaucoup de chemin pendant cette année, inspirée par sa rencontre avec les êtres et le territoire.

« Des petits bouts d’histoire [devant lesquels], si tu ne t’y attardes pas, tu restes un peu imperméable, mais, quand tu t’y penches, c’est tellement nourrissant. Ça aide à définir ses racines. »

Avec ce don qu’elle a de faire des liens et de créer du sens, elle convoque donc ses grands-parents paternels et les tantes de sa mère, raconte l’histoire de son voisin Clark Kent (oui, oui) et de Mary, la propriétaire de la maison, se laisse porter par le cycle des naissances et de la mort, rencontre des poules et un castor, s’intéresse à l’asclépiade et au mélilot. Ce qui l’allume : comment l’humain interagit avec la nature « parce que les deux se nourrissent » et que lorsqu’on les met sur un même piédestal, c’est toute la vision du monde qui change.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Anaïs Barbeau-Lavalette

Je suis d’égale à égal avec le vieil érable noir qui pousse depuis plus longtemps que moi sur cette Terre ! Il y a quelque chose de très rassurant là-dedans, et qui rend très humble.

Anaïs Barbeau-Lavalette

D’où l’importance de bien nommer les choses, un plaisir dont elle ne s’est pas privée. « Souvent, on dit qu’on marche dans la nature, on fait un amalgame. Mais à partir du moment où tu donnes des identités à ces arbres, ces plantes, ils deviennent tellement vivants. On dirait qu’il y a un sentiment de reconnaissance. »

Racines

Après l’immense succès de La femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette ressent bien sûr un certain vertige en lançant ce nouveau livre. « C’est un peu terrifiant. Mais la vie est trop courte pour ne pas prendre de risques », laisse-t-elle tomber.

« Et c’est ça que j’avais envie d’écrire. C’est l’élan le plus authentique, le plus senti, et donc le seul que je portais. »

Ce qui est certain, c’est qu’il lui aura fallu La femme qui fuit pour « déblayer le terrain » vers quelque chose de beaucoup plus simple.

« Il n’y a rien d’épique. Ce n’est pas une aventure, ce n’est pas haletant. » D’où la nécessité de soigner encore plus l’écriture « sans tomber dans la coquetterie », en restant terre à terre.

« Pour honorer la simplicité de ce que j’avais à raconter, il ne suffit pas de dire que la nature est belle derrière chez moi. Il faut que je trouve les mots pour rendre ce qu’elle m’a fait, la puissance de ce que j’ai rencontré. La nature porte ça en elle, la force immense et la fragilité extrême. »

Et c’est quand ces deux élans se côtoient qu’on devient enraciné. « Ben oui, la femme forêt, c’est moi. » Ce n’est pas rien… Elle sourit.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Anaïs Barbeau-Lavalette

Si je dis forêt, je dis racines. Ça ne veut pas dire que je suis forte, mais que j’ai réussi à trouver comment rester. Que j’ai ce désir renouvelé d’être celle qui reste, en fait.

Anaïs Barbeau-Lavalette

Ce livre qui célèbre « ce qu’on peut avoir de beau quand on est ensemble », elle espère qu’il fera du bien.

« En cette période où on a tous été un peu écorchés, j’ai envie qu’il puisse apaiser. On est beaucoup noyés sous les cris d’alarme, et ça peut être une autre forme de participation au monde. »

Parce que comme elle l’écrit à la fin de Femme forêt : « Nous sommes ensemble, tissés au reste des vivants. Fragiles. Enracinés. Miraculés. »

Femme forêt

Femme forêt

Marchand de feuilles

388 pages