Chose promise, chose due. Après un roman sur le consentement, la masculinité toxique et la culture du viol l’an dernier, Janette Bertrand nous revient ces jours-ci avec une suite, toujours aussi d’actualité, cette fois axée sur la solution. Parce que solution il y a, insiste-t-elle. Et elle n’est pas si loin.

Dans Un homme tout simplement, publié chez Libre Expression, la grande dame de la télévision, prolifique autrice et dramaturge de renom, qui a reçu cette année le prix Hommage Guy Corneau pour sa contribution au bien-être des hommes, y va de ses suggestions pour en finir avec le patriarcat. Carrément. Objectif : atteindre enfin l’égalité. Et contre toute attente, ça n’est pas compliqué, résume-t-elle : « Je propose quelque chose en quoi je crois beaucoup. Pour atteindre l’égalité, il faut que les hommes changent ! » Comment ? Son livre propose une piste. Elle nous a généreusement accueillie chez elle pour en discuter, en plus de ses innombrables projets.

Parce que si elle doit souffler ses 97 bougies dans quelques mois, Janette Bertrand n’a pas dit son dernier mot. Loin de là. « J’ai toujours un roman en chemin pendant qu’un autre sort, sourit-elle, confortablement installée à sa table à manger, avec vue imprenable sur le centre-ville. On dirait que j’ai peur de tomber dans le vide ! C’est malade, mon affaire ! pouffe-t-elle. En plus ça n’a aucun sens que j’écrive, je suis dyslexique ! Et ça ne s’arrange pas en vieillissant, je fais des fautes ! Mais je suis une fille de défis… », glisse-t-elle, sur le ton de la franche confidence, lequel ne la quittera pas de l’entretien.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Janette Bertrand

Les filles ont fait leur chemin, maintenant il faut que les hommes fassent le leur.

Janette Bertrand, autrice

« Parce que si on continue comme ça, si les hommes ne changent pas, il va y avoir un fossé, poursuit-elle. Et il y en a déjà un chez les jeunes. » À preuve : « Les filles n’ont plus besoin de le dire : elles sont féministes. Alors que les garçons vont chercher le patriarcat dans le porno. Il y a un clivage. »

Dans son roman, qui reprend exactement là où le précédent (Un viol ordinaire, publié l’an dernier) nous avait laissés, on retrouve donc son personnage principal, un certain Laurent, accusé d’agression sexuelle par son ex-copine. Quoique entouré d’amis « Cro-Magnons » (et Janette Bertrand n’a pas inventé leurs discussions, aussi stéréotypées soient-elles, assure-t-elle), il reconnaît ses torts, souhaite changer, mais ne sait pas trop comment. En prime, il ne sait pas comment se faire pardonner. Or voilà que Léa, son ex, suggère une voie innovante, qu’on a par ailleurs peu entendue, dans le débat entourant #moiaussi et les agressions non dénoncées. À savoir : la justice réparatrice.

Une voie « extraordinaire »

De quoi s’agit-il ? « C’est une forme de médiation fondée sur le respect, la compassion, l’inclusion », écrit-elle. Sorte de règlement « à l’amiable », la justice réparatrice « favorise le dialogue et la réparation dans un milieu sécuritaire et bienveillant ». Une médiation orchestrée par un tiers, donc, pour permettre à l’agresseur de trouver les moyens de réparer ses torts par rapport à la victime.

« C’est une autre façon que la justice nous offre pour régler des choses. Et c’est copié sur les autochtones », rajoute Janette Bertrand en entrevue. Parenthèse : elle y a eu recours il y a nombre d’années avec son conjoint (« ça fait 40 ans qu’on est ensemble ! Et ce n’était pas supposé durer, un homme 20 ans plus jeune ! Que le temps passe vite… »).

On était en conflit, et on a eu recours à une médiation. J’ai trouvé ça extraordinaire !

Janette Bertrand, autrice

Pour son roman, et en bonne journaliste (« j’ai tout un réseau de sources […] et je prends autant de temps pour faire la recherche que pour écrire »), elle a ici contacté une série de juges et d’avocats pour en savoir davantage. Pour comprendre. Et bien expliquer. Et ça paraît. Le propos prend par moments un ton carrément didactique. « C’est un sujet délicat, sait-elle, mais comme en ce moment la justice n’est pas faite pour les victimes – et j’espère que ça va changer –, il y a ça qui nous est offert. » Autant le communiquer, quoi.

Certes, nuance-t-elle, « ça n’est pas fait pour tout le monde », et « ça n’est pas bon pour tous les viols », mais pour « toutes ces choses qui ne méritent pas la prison », comme le type de viol dit « conjugal » en question, pourquoi pas ? « Le but, c’est que les deux parties sortent heureuses. »

Changer mieux

Outre la justice réparatrice, habile moyen de contourner un pénible procès, faut-il le souligner, Janette Bertrand plonge aussi son personnage principal dans un groupe de soutien. Pour hommes. Entre hommes. Le livre en suggère aussi une liste, en guise de référence. Un groupe où règnent l’empathie, le respect et le partage, où les hommes osent la sensibilité et la vulnérabilité. « Ici, on ne discute pas de travail, de hockey, de politique. On parle de soi, en profondeur. On ouvre son cœur », écrit-elle. Objectif : laisser de côté le « vrai homme », pour devenir « un homme, tout simplement ».

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Janette Bertrand

Pour écrire ces scènes, Janette Bertrand a en plus assisté à de telles rencontres (« sur Zoom ! C’était compliqué ! ») et elle en sort remuée. « J’ai rencontré des hommes extraordinaires, et ça m’a donné énormément d’espoir. Énormément d’espoir », insiste-t-elle. Parce que des hommes vulnérables, qui parlent de leurs émotions, il y en a.

Et c’est pour ça que j’ai écrit ce livre. Là, j’ai fini sur ce thème. J’ai bouclé la boucle, tous les éléments sont là pour qu’il y ait une plus grande égalité hommes-femmes. […] J’ai dit tout ce que je pensais.

Janette Bertrand, autrice

Et elle y croit « beaucoup ». Mais n’allez pas croire que Janette Bertrand pose ici la plume pour autant. Elle travaille en fait ces jours-ci sur un livre sur l’histoire des Canadiens français avec un historien, rêve d’une émission de télé sur le sujet, et mijote même un projet sur la vieillesse. Infatigable, vous dites ? « Il y a de plus en plus de personnes âgées dont on ne parle jamais, comme si elles étaient déjà mortes. Or on existe, on pense. Et on peut faire avancer les choses », conclut-elle. Elle en est la preuve incarnée.

Un homme, tout simplement

Un homme, tout simplement

Libre expression

182 pages