Deux recueils de nouvelles (Atavismes et Les noyades secondaires) et une novella (Des lames de pierre) plus tard, Maxime Raymond Bock en arrive à son premier roman, Morel, au sujet d’un homme ordinaire qui contribue à la transformation de la ville de Montréal dans les années 1960 et 1970 tout en subissant les contrecoups de la modernité.

Maxime Raymond Bock s’est inspiré « très librement » de la vie de sa famille afin d’écrire un roman riche et complexe sur la vie ouvrière. Du nom du personnage principal, Morel raconte l’histoire d’un homme né dans le Faubourg à m’lasse qui a, avec d’autres, construit le Montréal d’aujourd’hui quoiqu’il s’en trouve dépossédé de l’enfance jusqu’à la fin de sa vie.

« Depuis que j’écris, explique l’écrivain en entrevue avec La Presse, je m’intéresse à la permanence de l’histoire et aux traces du passé qui restent jusqu’à nous. Je voulais voir les effets de la transformation de la ville sur la vie privée des citoyens. À Montréal, on a rasé des quartiers entiers pour faire place à l’Expo 67 et les Jeux olympiques en 1976 au lieu d’aider les gens en difficulté à sortir la tête de l’eau. On les a déplacés pour réaliser un beau portrait à offrir au monde. »

Son roman montre que la vie des sans-voix est aussi dense et complexe que celle des gens riches et célèbres. Petite et grande histoire se confondent dans Morel. Son auteur a entrepris en 2012 un long travail de recherche sur l’histoire de la ville. Il dit avoir travaillé dans un esprit de « justesse et de justice » au nom des oubliés des mutations urbaines.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Maxime Raymond Bock

« C’est une des parties de mon travail que j’aime le plus : trouver des images de la ville, de quartiers ou de coins de rue qui n’existent plus et les juxtaposer avec l’état de la ville contemporaine. C’est fascinant de voir la transformation de Montréal qui a créé des no man’s land, comme ce que l’on peut encore voir en dessous du pont Jacques-Cartier. On peine à s’imaginer ce qu’il y avait là auparavant. »

Véracité

Le Morel du roman a peu à voir avec celui à qui est dédié le livre, Pierre Raymond, père de l’écrivain, mais les anecdotes racontées par le paternel ont aidé le fils à donner une belle consistance et une réelle vraisemblance au récit.

« Tous les écrivains font ça, se servir des expériences de vie comme appui pour donner une véracité au monde fictif que l’on construit. Moi-même, je travaille au 600, rue Fullum et c’est en m’interrogeant sur ces lieux que j’ai découvert qu’il y avait là, avant, un énorme complexe hérité de la révolution industrielle. »

Morel, homme victime du progrès, n’est pas un être tout blanc pour autant. Alcoolique pouvant sombrer dans la violence, il se montrera aussi capable d’aimer, si ce n’est de manière maladroite. Le roman expose toute la richesse de son humanité.

« Morel est un homme oublié et oubliable au regard de la grande Histoire. Il peut être drôle, mais jamais risible. Quand je présentais mon roman avec ma thèse de doctorat, je disais : “C’est La petite vie, les calembours en moins.” »

Importance du style

Depuis ses débuts, Maxime Raymond Bock accorde une grande importance au style. Il utilise ici des pivots narratifs qui lui permettent de changer d’époque tout en traitant des mêmes lieux ou personnages. Il maintient ainsi le fil de l’émotion qui traverse les générations. L’auteur construit son récit un peu comme Morel a construit la ville.

« Un roman, c’est une question formelle, ce n’est pas que raconter une histoire. Roman historique, social, familial ? Je l’ignore, mais l’enjeu de la mémoire est fondamental, celle d’un homme et d’une ville. La mémoire ne fonctionne pas comme une ligne de temps chronologique. Elle n’est pas linéaire. Le passage d’une époque à l’autre me semblait donc une forme propice. »

Autre inspiration, le langage. Le parler vernaculaire des gens écrasés par le progrès côtoie des expressions plus soutenues, le vocabulaire syndical, le joual et une écriture phonétique dans les dialogues.

« On a cette lutte des classes à même nos niveaux de langue, affirme-t-il. Ça fait partie de notre identité au Québec. Je trouvais important que ça se sente. Le troisième synonyme d’un mot trouvé dans le dictionnaire de l’Académie, on a le droit de l’utiliser aussi, sinon il va disparaître. »

Maxime Raymond Bock confirme dans Morel sa signature unique, panaché d’érudition et d’humanisme. Il aime d’ailleurs le fait que la littérature québécoise affiche une réelle diversité en ce moment.

« On n’aurait pas pu demander à Frank Zappa de composer la ritournelle populaire de l’été, pas plus qu’à un artiste pop de faire du free jazz. Personnellement, j’aime le rock progressif. »

Morel

Morel

Le Cheval d’août

336 pages