(Paris) L’écrivain Abdulrazak Gurnah, lauréat du prix Nobel de littérature, a été peu traduit en français, passant assez inaperçu jusqu’ici. Mais cela devrait être réparé.

Avant son Nobel, le natif de Zanzibar en Tanzanie est passé par les éditions Denoël, qui n’ont pas persisté. Puis il a été récupéré par Galaade, qui a fait faillite en 2017. Il n’a donc plus vraiment d’éditeur français attitré.

Paradis, roman de 1994, a été traduit de l’anglais (par Anne-Cécile Pardoux) chez Denoël en 1997. Le quatrième de couverture disait : « Par l’un des grands écrivains de l’Afrique anglophone, le roman troublé d’une jeunesse africaine au début de ce siècle ».

Même si une édition poche a vu le jour aux éditions du Rocher en 1999, le succès est resté modeste.

En 2006, les éditions Galaade sortaient Près de la mer, roman de 2001. Cette traduction (par Sylvette Gleize) vaudra à Abdulrazak Gurnah le prix RFI Témoin du monde 2007.

« Je l’ai découvert en voyant son roman, à la Foire de Francfort, sur la table d’un agent littéraire. J’ai acheté un livre d’Abdulrazak Gurnah, et j’en ai publié deux, après avoir beaucoup échangé avec lui », raconte à l’AFP la fondatrice, Emmanuelle Colas.

« Je suis très heureuse pour cet écrivain que nous étions si peu à défendre. Je publie assez peu de livres chaque année, mais toujours d’auteurs que je choisis parce que je les estime nécessaires pour dire le monde tel qu’il avance, avec ses difficultés », ajoute-t-elle.

En 2009, Galaade récidive avec Adieu Zanzibar (Desertion en anglais). Le mensuel Le Monde diplomatique en fait une critique enthousiaste : « Plume soyeuse et récit maîtrisé, comme le montre l’emboîtement de voix tant locales qu’étrangères, installées dans le présent ou surgies du passé vieux de cinq décennies ».

« De la concurrence »

Après avoir perdu sa première maison d’édition, trop lourdement déficitaire, Emmanuelle Colas ne s’est pas découragée et en a refondé une autre en 2018, sous son propre nom. Son travail de diffusion de la littérature africaine a payé, quand Les impatientes de la Camerounaise Djaïli Amadou Amal a remporté le prix Goncourt des lycéens 2020.

L’éditrice espère convaincre l’écrivain de poursuivre avec elle aujourd’hui. « J’avais le projet de continuer à le publier, lui qui a une vraie voix, et des textes extrêmement forts. J’ai seulement été entravée par des vicissitudes économiques », explique-t-elle. « Mais j’aurai de la concurrence, on le sait ».

Le statut de Près de la mer et Adieu Zanzibar n’est pas évident. Dans le cadre de la liquidation de Galaade en 2017, les droits sur ces titres ont pu être considérés par les mandataires judiciaires comme des actifs sans valeur… parce que personne ne pouvait imaginer qu’ils en retrouveraient brusquement une, quatre ans plus tard.

Chez Denoël, on peut espérer rééditer Paradis, qui a été salué par la critique anglophone comme l’un des meilleurs livres de Gurnah. C’est ce qui devrait prendre le moins de temps, si tout va bien.

Cet éditeur du groupe Madrigall (Gallimard, Mercure de France, POL, etc.) a été lui-même surpris par ce Nobel que personne n’anticipait. Jeudi après-midi, il vérifiait que toutes les conditions étaient réunies pour ressortir Paradis.

Pour les sept romans non traduits, il faudra négocier avec l’agent d’Abdulrazak Gurnah.

L’an dernier, Gallimard avait décroché les droits d’une lauréate du Nobel jamais traduite en volume en français, mais uniquement par bribes dans des revues, la poétesse américaine Louise Glück. Ses deux recueils publiés en mars, L’Iris sauvage et Nuit de foi et de vertu, se sont très bien vendus pour des œuvres en vers.