Boucar Diouf publie ces jours-ci un livre d’actualité : La face cachée du grand monde des microbes. En ces temps de pandémie, il se demande si le déséquilibre introduit dans la nature par l’humain n’est pas à la source de multiples problèmes de l’infiniment petit. En entrevue, il fait le lien entre sa passion pour les microbes et la polio qui l’a frappé, petit.

Pourquoi écrire ce livre maintenant ?

La pandémie y est pour quelque chose. Je n’ai jamais autant entendu parler d’ARN, de vaccin et de virus. Le déclencheur a été une entrevue que j’ai donnée à un journaliste, qui m’a demandé : « À quoi ça sert, les foutus virus ? » Je me suis dit : « C’est fou, c’est à la fois intéressant et perturbant. » C’est la suite logique des chroniques de vulgarisation que je fais, une tentative de réconciliation avec les microbes. J’ai un doctorat en biologie de l’Université du Québec à Rimouski, j’ai enseigné là huit ans.

Est-ce que l’enseignement vous manque ?

Beaucoup au début, mais je dis maintenant que je fais de l’éducation aux adultes. Je donne mes cours dans des salles de spectacle de 1800 places. Mais les liens à long terme avec les étudiants me manquent. L’enseignement aux adultes, c’est être solitaire dans la foule, les gens viennent et après disparaissent.

D’où vient votre don de conteur et de vulgarisateur ?

J’ai grandi dans l’oralité, mes parents et grands-parents racontaient des histoires, ils étaient toute la gang analphabètes. J’ai grandi dans les arts, dans une société agraire où mon père cultivait les arachides et avait des vaches. J’ai passé ma jeunesse à mener ses vaches paître dans la savane. Je parlais aux vaches, j’essayais de deviner ce qu’elles pensaient. Je leur racontais des histoires. Gilles Vigneault disait de laisser les enfants s’ennuyer. Ça stimule la créativité. Même ma passion pour les microbes vient de mon enfance. J’ai attrapé la polio à 6 ans et ça m’a laissé une jambe paralysée. Il faut rappeler ça aux antivaccins. Toute ma vie a été tracée par cette mauvaise jambe… tu essaies de te valoriser autrement. Tu ne sais pas jouer au soccer, alors tu cherches à plaire aux filles différemment. J’ai travaillé très fort à l’école pour battre mes frères différemment. L’humour, c’est une façon de dévier l’attention des gens ailleurs que sur ce qui te dérange. Là, je me tape des hernies discales, mon corps est un peu magané.

Vous faites le lien entre les maladies microbiennes émergentes et les changements climatiques.

Avec les bouleversements environnementaux, il y a une érosion de la biodiversité et plus d’exposition aux virus émergents. Il faut se réinterroger sur notre place dans la biosphère, pas juste acheter les masques.

Peut-on vraiment dire aux pays émergents en Asie et en Afrique, où sont apparues récemment des maladies comme la COVID-19 et l’Ebola, de ne pas trop empiéter sur la nature, de ne pas se développer ?

Ici il y a la maladie de Lyme, c’est lié à l’étalement urbain. C’est vrai que le SARS-CoV-2 [NDLR : le coronavirus responsable de la COVID-19] vient de la Chine, mais la solution devrait inclure tout le monde.

Certains avancent que pour s’intéresser à la protection de l’environnement, il faut en avoir les moyens, et donc qu’une société qui s’enrichit est une société qui protège mieux la nature.

Je ne connais pas cette théorie-là. C’est sûr que pour penser à la nature, ça prend la possibilité de manger, de boire, de se soigner, de nourrir sa famille. Mais il y a un contrecoup à l’enrichissement. On veut la croissance illimitée avec une terre aux ressources limitées. Chaque élection, on parle de la croissance. Dans la nature, il n’y a rien qui croît infiniment. La baleine bleue est la plus grosse des mers, mais sa vie est compliquée, elle mange tout le temps. Quand les arbres atteignent 100 m de hauteur, les problèmes commencent : comment amener la sève tout en haut ?

Vous vous êtes aussi fait un nom avec vos propos sur la diversité dans la société, la coexistence, le racisme. Y a-t-il un lien avec votre intérêt pour les microbes ?

Je pense que le point commun, c’est la diversité, la recherche d’équilibre. Il y a plein de choses qu’on faisait d’une certaine manière, et là il y a des mouvements qui disent « wow, wake up ». Les microbes sont là depuis 3,5 milliards d’années et nous, depuis 60 000 ans. Pour moi, on ne peut pas se lever un jour et dire : « Voici nos ennemis, on va les mettre au pas. » Chacun a la place qu’il mérite dans la biosphère.

Au sujet du vaccin contre la COVID-19, plusieurs disent que l’Occident ne devrait pas avoir recours à une troisième dose alors que beaucoup de pays pauvres en manquent.

C’est un enjeu éthique qui mérite d’être soulevé. Ne pas vacciner les pays du Sud, c’est une erreur, parce qu’ils ont une grosse population qui est jeune et constitue un énorme réservoir pour les mutations du virus. Il y aurait quelque chose de très stratégique à vacciner les pays du Sud avant de donner une troisième dose, mais je ne pense pas qu’on va le faire. On ne parle pas assez d’une autre dimension : le clivage des antivax dans les pays riches est très visible dans les pays émergents et toutes ces grosses manifs minent la confiance envers les vaccins dans les pays du Sud.

La face cachée du grand monde des microbes

La face cachée du grand monde des microbes

Éditions La Presse

216 pages