Grosse année pour Sarah-Maude Beauchesne. Elle a écrit, publié, tourné et joué. Alors qu’arrive en librairie ces jours-ci son dernier livre, nous avons réussi à l’attraper devant un verre de rouge léger (pardon : de rosé foncé) pour jaser sexualité, féminisme et hétérosexualité. Ah oui, et de sa vie et de sa carrière, aussi !

Des questions existentielles, dans la franchise et la légèreté, comme elle en a évidemment le secret. En témoigne sa fameuse websérie Fourchette, dont on attend la troisième saison incessamment (« plus tard à l’automne… », nous glisse-t-elle, un brin énigmatique). Nous y viendrons.

Mais d’abord, parlons de son roman, Au lac d’Amour, « chaud bouillant, dans plusieurs sens du terme », comme elle le qualifie elle-même sur Instagram, qui vient d’arriver en librairie cette semaine (La Bagnole).

De quoi s’agit-il ? D’un récit pour adolescents (pardon : adolescentes, « moi, mon expérience, c’est l’expérience d’une fille, d’une femme ! Et j’aimerais juste ça qu’il y ait plus d’hommes qui écrivent des livres pour les gars comme ça ! »), mais ne vous laissez pas berner : derrière sa couverture florale et ses airs d’Harlequin se cache ici certes un roman à l’eau de rose, mais pas que. Ou, disons, à l’eau de rose mais sauce millénariale (on parle ici de l’été des 20 ans du personnage principal, une certaine Joséphine), post-pandémique, et surtout post #metoo. Un roman sexy à l’eau de rose féministe. Bref, bien de son temps.

« Je voulais écrire de la tendresse », résume Sarah-Maude Beauchesne, attablée devant un verre dans son nouveau repaire (Lundis au Soleil), de son nouveau quartier (Villeray, parce qu’elle a en plus déménagé dans la dernière année).

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Je l’ai écrit pendant la pandémie, et il n’y avait aucune tendresse nulle part. J’ai voulu quelque chose de chaud, de chaleureux et de décomplexé.

Sarah-Maude Beauchesne

Et ça l’est. Généreux, aussi, pourrions-nous rajouter.

C’est d’ailleurs son roman le plus « assumé » à ce jour. Elle ne s’en cache pas : « Quand j’ai écrit Cœur de slush, j’avais 18 ans à la première version, je ne savais même pas c’était quoi, désirer, ni c’était quoi, le féminisme ! » On comprend qu’elle a cheminé depuis. La preuve : « C’est le livre le plus sexy, parce qu’il a été écrit en pleine possession de mon corps ! » Parenthèse pédagogique au sujet du temps où elle était plus jeune : « J’aurais tellement eu plus de plaisir, j’aurais tellement été mieux dans mon corps, si j’avais lu des livres qui présentaient la sexualité de manière plus réaliste ! »

D’où ce roman, donc, où sa Joséphine ose une sexualité « gourmande », carrément « égoïste ». « J’aime pas le mot “éduquer”, nuance Sarah-Maude Beauchesne, mais moi, j’aurais aimé ça qu’on me le dise : “T’as le droit d’avoir du plaisir.” » Et elle, elle le dit.

Le plaisir, soit dit en passant, est ici à la fois consensuel (« j’avais envie de rendre le consentement sexy, parce que ce qui est hot, c’est de se faire respecter »), fluide (pour « dédramatiser l’orientation sexuelle béton »), et, ce n’est pas innocent, sans pénétration (« parce que ce n’est pas juste ça, la sexualité »). Au risque de nous répéter : bien de son temps, donc.

Évidemment, elle traite en prime d’amitié féminine (« parce que je ne me le suis pas fait assez dire, adolescente, de valoriser cette amitié-là »), aussi riche et complexe soit-elle. C’est aussi une des morales du livre : « C’est difficile, l’amitié, il faut la travailler, la jardiner, s’aimer plus, pour arrêter d’aimer mal l’autre », résume-t-elle.

La grande préoccupation du moment

Des préoccupations, on le sait, qui habitent Sarah-Maude Beauchesne depuis longtemps, de Cœur de slush à Fourchette en passant par la série L’Académie. C’est un peu son mode de vie, et son gagne-pain aussi : « J’ai trouvé mon sweet spot pour que ce soit sain […] : m’autoanalyser pour peut-être aider quelqu’un après », explique-t-elle, en faisant allusion à sa participation à titre de chroniqueuse à La semaine des 4 Julie, cette saison. Son mandat ? « Soulever des questions féministes, les décortiquer, et trouver une manière d’en parler pour que tout le monde puisse s’identifier. »

C’est un peu ce qu’elle s’apprête également à faire avec la nouvelle saison de Fourchette, que nous n’avons pas encore vue, mais dont nous avons par contre abondamment parlé. Si la saison 1 tournait autour de l’amour (« j’aime ou j’aime pas »), la deuxième, autour de la solidarité féminine (« je suis fine ou pas fine »), voilà qu’on s’apprête à voir son personnage s’attaquer à la grande question de la maternité.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

C’est ce qui m’habite dans la minute : la maternité et la non-maternité, la fluidité amoureuse et sexuelle, et est-ce qu’on peut être furieusement féministe et hétérosexuelle ?

Sarah-Maude Beauchesne

Une saison à la prémisse, selon elle, « la plus tendre, la plus provocante et la plus intense » à ce jour. Une prémisse qui l’habite au quotidien, et ça se voit. « En vieillissant, en tant que femme, on fait beaucoup de deuils, enchaîne-t-elle. Et j’ai l’impression qu’on nous a monté un bateau : on ne peut pas tout faire, ce n’est pas vrai. Le mythe de la mère carriériste, je n’y crois pas. »

On ose s’éloigner de Fourchette un instant : mais elle, Sarah-Maude Beauchesne, autrice carriériste (« un peu trop ! »), en veut-elle, des enfants ? « C’est une question qui n’est pas posée dans Fourchette [le personnage prend une décision dès le premier épisode], mais que moi, je me pose toutes les minutes de ma vie ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

D’ailleurs, l’autrice se félicite de constater qu’elle est loin d’avoir épuisé toutes ses interrogations existentielles. « Je pensais m’être posé toutes mes grandes questions, et à 30 ans, ne plus savoir de quoi parler ! » Visiblement, elle avait tout faux. Au contraire, ses interrogations ont pris une profondeur insoupçonnée. Tenez : est-ce que je veux être une mère, et si je ne le suis pas, est-ce que je vais être une femme complète quand même ? Est-ce qu’avoir des enfants, c’est plier sous le poids du patriarcat ? Maternité et liberté peuvent-elles aller de pair ?

Des questions très personnelles, qui trouvent un sacré écho. « Mon personnage [Fourchette], c’est tellement moi […]. Et ce que j’aime, c’est que ça crée un dialogue, une communauté, ça ouvre la discussion, confirme-t-elle. Sur les réseaux sociaux, je reçois tellement de messages, de témoignages, on m’arrête dans la rue pour discuter ! »

À tous ceux qui lui reprocheraient de trop se gratter le nombril, elle rétorque : « C’est sûr qu’il y a un côté narcissique. L’autofiction, c’est parler de soi ! […] C’est de là qu’émanent le plus d’images vraies et originales. C’est narcissique, OK. Mais moi, ça me fait du bien. Et tant que je ne sers pas à rien, ça a sa place… »

Au lac d’Amour

Au lac d’Amour

Éditions de La Bagnole

144 pages

Sur sa table de chevet

IMAGE TIRÉE DU SITE DES LIBRAIRES

Nullipares (collectif)

« Je viens de finir Nullipares [collectif dirigé par Claire Legendre], un recueil de réflexions sur les femmes qui n’ont pas eu d’enfants. Je suis aussi en train de lire Le génie lesbien [Alice Coffin] et je recommence La crise de la masculinité [Francis Dupuis-Déri]. »

Son processus d’écriture

IMAGE TIRÉE DU SITE DES LIBRAIRES

Les fourchettes – Une vingtaine complexe et sensuelle, de Sarah-Maude Beauchesne

« Très aléatoire : je peux écrire un soir de 6 h à minuit, puis ne plus rien faire pendant trois jours. J’y vais au gré de l’inspiration et des hormones, selon comment ça va avec mes amis, mon cœur. J’écris comme je me sens, je n’ai pas d’horaire, et c’est un gros luxe. » 

Son métier de comédienne

PHOTO FOURNIE PAR TOU.TV

« Jouer Fourchette, c’est un des plus grands bonheurs de ma vie. Un gros trip. J’ai travaillé fort. Il faut tout donner. C’est vraiment fascinant comme métier. Et je suis bien chanceuse d’avoir essayé ça. » Si elle « joue » son propre rôle ? « Oui, je joue. C’est un métier, un art, un exercice, un support. Jouer, c’est habiter son corps […], ce n’est pas la vraie vie du tout ! »