Après un premier recueil remarqué, Moi, figuier sous la neige, Elkahna Talbi – aussi connue comme Queen Ka – reprend les chemins intérieurs pour parler de relations amoureuses, du désir et du parfois difficile, mais essentiel amour. On retrouve dans Pomme Grenade (Mémoire d’encrier) son regard unique et un style de plus en plus assumé.

Le premier recueil d’Elkahna Talbi, Moi, figuier sous la neige, traitait de la transplantation d’un « arbre exotique », sa famille tunisienne, en terre québécoise. Avec Pomme Grenade, la poète et artiste de spoken word née à Montréal passe du sujet de l’identité à celui de l’intime, sans délaisser sa propre nature « terre d’érable et sable ».

« Moi, figuier, c’est l’identité dans le territoire avec un va-et-vient constant entre deux pays, explique la poète. Avec Pomme Grenade, c’est l’identité dans l’intimité, ou comment on devient soi quand on rencontre l’autre. Comment cette personne nous influence et nous remet en question. Même si le sujet, c’est l’intime, j’ai fait beaucoup de recherches, de lectures et j’ai parlé à des gens qui ont vécu des relations interculturelles. »

Elle évoque les relations entre amants de différentes cultures, langues, religions. Des chocs amoureux, bien souvent, qui peuvent aussi survenir entre des personnes de régions éloignées l’une de l’autre dans un même pays.

« Il y a un peu plus de politique dans ce recueil que dans le premier. Je me suis permis un peu plus de commentaires et de réflexions. Il y a quelque chose de politique dans le désir. On peut voir dans les relations interraciales ou interculturelles un fond de politique. Je sentais que je pouvais me permettre d’en parler. Ça reste poétique, ce n’est pas pamphlétaire. »

Cœur sur la table

Une poésie très personnelle parcourt Pomme Grenade. Les vers et les poèmes sont plus courts et dépouillés. Souvent, dans un premier livre, on cherche à tout dire. Ici, Elkahna Talbi respire, réfléchit et met son cœur sur la table sans ignorer les obstacles que toute relation représente.

« On ne peut pas faire abstraction de tous les écueils dans la quête de l’assouvissement du désir. On doit en être conscient, mais aussi se poser la question si ces difficultés ne seraient pas elles-mêmes génératrices de désir. Si c’est trop simple ou facile, ce serait tuer le désir. On essaie de faire en sorte que les morceaux collent et qu’on puisse, à la fin, utiliser le ‟nous”. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Elkahna Talbi

Ça fait partie du voyage amoureux. L’autre, c’est notre premier voyage. Comment aller vers l’autre sans se perdre. Plus on vieillit et on se connaît, plus notre rapport à l’autre va être modifié. Aller dans la rencontre, le plaisir et l’amour sans nécessairement faire abstraction de qui on est. On se cherche en cherchant l’autre.

Elkahna Talbi

Voyager en amour n’est peut-être pas si différent de migrer vers un autre continent, une autre réalité. Chacun arrive en pays neuf ou en nouvel amour avec un bagage.

« La première chose que tu aimes chez quelqu’un, c’est souvent la première chose qui finit par clocher, comme me disait un ami. Ce qui peut nous allumer, après un certain temps, peut nous brûler plus tard. Les différences culturelles peuvent générer de la passion, mais quand la passion se fane, ces éléments s’entrechoquent. »

Concret

Son écriture lucide reste dans le giron de la vie au quotidien, du concret des relations. La spontanéité du spoken word n’influencerait-elle pas sa démarche ?

« Je suis la poète que je suis. J’aime magnifier les éléments du quotidien pour évoquer autre chose. C’est mon écriture, mon style. »

En parlant du recueil, je me rends compte que c’est vraiment intime, ce que j’ai écrit. En l’écrivant, j’étais tellement dans un état de liberté de fouiller et de creuser que ça ne m’était pas apparu de cette façon.

Elkahna Talbi

Le livre lui a donc permis d’élargir ses horizons d’artiste. Passer de la scène et de l’oral à la poésie publiée aura nécessité presque 10 ans avant Moi, figuier sous la neige.

« Je touche à beaucoup de choses en arts, mais je me suis sentie à ma place dans ce deuxième recueil. Le mot ‟recueil” définit bien la poésie. Il y a une part de recueillement là-dedans. Ça fait partie de mon identité artistique pour les années à venir. »

On pourra revoir Elkahna Talbi sur scène au Festival international de la littérature (FIL) les 27, 28 et 30 septembre dans le spectacle Baldwin, Styron et moi, écrit par Mélikah Abdelmoumen. Au FIL, elle met également en scène Kamikaze du vendredi, de et avec Amélie Provost, le 29 septembre.

Pomme Grenade

Pomme Grenade

Mémoire d’encrier

136 pages