Dis-moi ce que tu manges, je te dirai quel dictateur tu es. Dans son livre La table des tyrans, le journaliste Christian Roudaut analyse les menus de six sombres vilains du XXsiècle. À vous couper l’appétit…

Mao raffolait du porc de Yunnan, Staline aimait le vin géorgien, Hitler se goinfrait de sucreries…

Malgré leurs crimes odieux, les grands dictateurs du XXsiècle n’étaient pas dépourvus d’appétit. En revanche, leur rapport à la nourriture pouvait être complexe, voire tordu.

Dans son livre La table des tyrans, le journaliste français Christian Roudaut raconte comment s’alimentaient les Mao, Hitler, Bokassa, Staline, Saddam et Ceausescu, et explique en quoi leurs préférences culinaires étaient conformes à leur personnalité. Résumé, entre extravagance et paranoïa…

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Saddam Hussein, alors vice-président irakien, et Jacques Chirac, premier ministre français, en 1975

Connaître la faim

On ne voudrait pas vous décevoir, mais ces sombres vilains n’étaient pas vraiment des foodies. S’ils se sont tous empiffrés tandis que leur peuple crevait de faim, aucun n’a brillé par ses qualités de gourmet.

« Mao et Staline aimaient la bonne chère, mais Hitler était un goinfre avec une dent sucrée et Ceausescu n’était pas très raffiné. Quant aux témoins qui ont mangé à la table de Bokassa, ils disent que ce n’était pas bon », résume Christian Roudaut.

Certes, leurs tables pouvaient être somptueuses. Mais il s’agissait surtout d’afficher sa puissance. Ce désir d’épater la galerie s’expliquerait par leurs origines très modestes.

« Ils ont tous connu l’expérience de la faim, ce fut pour eux un élément structurant », remarque le journaliste en évoquant une forme de « revanche sociale ». Hitler en fera même un des leitmotivs de son livre Mein Kampf et un thème récurrent de sa propagande.

Dans le privé, les plats simples, liés à leur jeunesse, prenaient toutefois le dessus. Masgouf pour Saddam, porc Yunnan pour Mao, cuisine géorgienne pour Staline. Repli tout à fait compréhensible, étant donné la nature stressante de leur statut de tyran : ces plats, connus et rassurants, étaient une sorte de « refuge », explique l’auteur.

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Mao Zedong, président du Parti communiste chinois, lors de la visite d’une coopérative agricole, dans la province du Henan en 1962

Connaître la peur

Ils avaient l’estomac noué, mais ce n’est pas à cause de la faim. Dans son livre, Christian Roudaut raconte à quel point il pouvait être terrifiant pour les invités de manger à la table d’un tyran, car on y risquait sa vie à tout moment.

« À table, on baisse la garde, et on sait que le moindre mot de travers peut se retourner contre nous », résume le journaliste.

C’était particulièrement dangereux avec Staline, qui s’amusait à soûler ses convives à la vodka afin de les compromettre.

Staline utilisait ce que j’appelle la convivialité sadique. On était détendu parce qu’on était dans sa datcha, qu’on picolait et se lançait des boulettes de pain. Mais en même temps, ça pouvait se traduire par la disgrâce ou, pire encore, par le goulag.

Extrait du livre La table des tyrans

Mais la peur, c’était aussi celle du tyran, obsédé par l’idée d’être empoisonné. Tous ces vilains avaient pris l’habitude de faire tester leurs plats avant de s’y risquer eux-mêmes. Qu’on pense aux « goûteuses » d’Hitler, aux labos de Mao ou aux frigos cadenassés de Ceausescu. Staline, lui, était plus convivial : il demandait à ses invités de manger une bouchée avant de leur emboîter le pas.

Entre cannibalisme…

On pourrait délirer pendant des pages sur le somptueux banquet donné par Jean-Bedel Bokassa le jour de son sacre quasi napoléonien. Mais lorsque l’on évoque le dictateur centrafricain, c’est toujours la question de son cannibalisme présumé qui hante les esprits.

Cette rumeur persiste encore aujourd’hui. Et dans son livre, Christian Roudaut se fait un devoir de mettre les points sur les i : non seulement cette accusation n’a jamais été démontrée, mais aussi elle a été rejetée par deux fois lors des procès de Bokassa.

« Je ne dis pas qu’il ne l’a pas été. Je dis seulement que rien ne prouve qu’il l’a été », insiste le journaliste, en évoquant plutôt la campagne de salissage, voire raciste, menée par les médias français.

« Il n’aurait pas été africain, je ne sais pas si on lui aurait collé cette image », résume-t-il.

… et végétarisme

Aucun doute, en revanche, sur le végétarisme d’Hitler.

Surprenant de la part d’un boucher sanguinaire, dites-vous. Mais la question est de savoir pourquoi il avait fait ce choix radical – et, disons-le, visionnaire – à une époque où le végétarisme n’était pas du tout à la mode. Entre autres hypothèses, Roudaut penche pour celle-ci : véritable hypocondriaque, le Führer pensait qu’il y avait un lien entre la viande et le cancer…

« Ce sujet crispe beaucoup de végétariens, lance Christian Roudaut. Vrai qu’Hitler n’est pas l’homme-sandwich idéal, ils préféreraient sans doute avoir Gandhi comme porte-parole… »

Le dernier repas

Question de finir en beauté, Roudaut s’attarde aussi aux derniers repas de ces sinistres personnages, une fois malades ou déchus.

On y apprend notamment que la veille de son exécution, Saddam avait mangé des queues de homard, tandis qu’Hitler s’était enfilé une assiette de spaghetti dans son bunker, quelques heures avant son suicide.

L’histoire ne dit pas s’ils avaient mangé avec appétit.

« C’est la question qu’on se pose tous. Mais quand on sait qu’on va mourir, je ne pense pas qu’on mange de gaieté de cœur », conclut Roudaut.

À la table des tyrans

À la table des tyrans

Flammarion

256 pages