Dans Sa parole contre la mienne, Chrystine Brouillet a une nouvelle héroïne : journaliste, elle est inspirée des reportages de Monic Néron et d’Émilie Perreault sur l’affaire Rozon. Son but ? Mettre au jour les agissements d’un homme influent qui aurait commis de nombreuses agressions sexuelles au fil des ans. Entrevue avec l’auteure.

Il faut remonter au printemps 2020 pour comprendre ce qui a poussé Chrystine Brouillet à écrire sur le sujet, alors qu’elle cherchait l’inspiration pour son prochain roman – elle qui en publie généralement un par année. « Au moment où la pandémie a commencé, ma crainte a été que le mouvement #moiaussi disparaisse. De toute façon, je ne pouvais pas écrire un Maud Graham parce qu’elle est assez reliée à l’actualité et elle vieillit avec moi. Et je me suis dit, quand la pandémie a commencé, que je ne pouvais pas écrire là-dessus parce que je ne sais pas comment ça se termine ! », explique-t-elle.

Elle s’est donc mis en tête d’inventer un personnage « qui est un mélange de toutes sortes de prédateurs et qui commence sa “carrière” assez jeune », entouré d’amis avec qui il partage la même façon de penser.

C’est ainsi qu’à travers de multiples allers-retours, des années 1980 jusqu’en 2017, elle tente de « démonter le mécanisme malsain » de ces prédateurs sexuels qui commettent des ravages sur des décennies. « Je la commence bien avant [mon histoire] parce que je me disais que les prédateurs dont on a parlé au début du mouvement #moiaussi, ils n’ont pas commencé leurs actes infâmes en 2005, en 2015. Ils avaient du passé, ces gens-là », dit-elle avec indignation.

L’auteure n’hésite pas à user de dialogues crus dans le roman qui révèlent toute l’horreur du raisonnement délétère de ces personnages :

« Elles commencent toujours par dire non, dit Nelson, vous le savez bien.

— C’est sûr, approuva Clovis en rajustant sa chemise. C’était pareil à la Barbade, souvenez-vous-en… Elles chialent un peu au début, disent que ça ne leur tente pas, mais c’est juste pour nous exciter un peu plus. Elles crient, elles pleurent, ça fait partie de leur stratégie. »

Elle rapporte même les propos d’un juge qui a déclaré en cour que « toute règle est faite, comme une femme, pour être violée ». « Oui, quelqu’un a prononcé ce genre de choses-là », nous dit-elle, outrée.

La littérature comme vecteur de changement

En plus d’évoquer Gilbert Rozon, Chrystine Brouillet nomme aussi, dès les premières pages de son roman, DSK et Jian Ghomeshi, des hommes qui ont été accusés, mais dont le procès, précise-t-elle, « se termine en eau de boudin ». « Ce n’est pas normal d’être une victime deux fois : tu as le courage de dénoncer ton agresseur et tu te retrouves victime du système. »

L’écrivaine est tout de même optimiste et croit que la clé du changement est à nos portes. « Des réflexions de mononcle comme j’en ai entendu, et qu’à la limite je tolérais parce que c’était comme ça – pourtant, j’ai toujours été féministe –, les jeunes d’aujourd’hui ne les acceptent pas et elles ont raison de dire : “Ça suffit, on ne veut plus entendre de conneries comme on a pu entendre.” Ça va changer, c’est sûr, la machine est en marche. Récemment, je parlais à Jean-Michel Fortier, qui a écrit le délicieux livre La révolution d’Agnès. C’est rassurant, c’est un jeune qui se met à la place des femmes. On a des gens qui vont changer les choses par la culture, par l’éducation, par la littérature. »

Comme auteure, mon premier souci, c’est que mon lecteur oublie son quotidien pendant qu’il lit, comme j’aime, moi, quand je plonge dans un roman. Mais ça n’empêche pas qu’on peut soulever des problèmes de société et faire réfléchir un peu. J’ai de la gratitude pour les auteurs qui me font réfléchir et avancer.

Chrystine Brouillet

Chrystine Brouillet loue par ailleurs le film de Monic Néron et d’Émilie Perreault, La parfaite victime, qu’elle a pu voir bien avant sa sortie grâce aux liens tissés avec les deux journalistes, qui ont répondu à ses questions sur leurs méthodes d’enquête. « C’est un film tellement juste et nécessaire, j’espère que tout le monde va le voir. Et surtout les gens qui font les lois parce qu’il y a beaucoup de travail à faire. »

Retrouverons-nous bientôt le personnage de Myriam dans une nouvelle enquête journalistique ? Chrystine Brouillet se met à rire quand on lui pose la question. Peut-être, mais pas en 2022, parce que ce sera l’année du 20roman de Maud Graham. « Je l’aime bien, Myriam ; je trouve qu’elle est entière et fougueuse. Elle a l’énergie de la jeunesse et c’est une fille qui se tient debout, qui a des convictions. J’ai beaucoup de jeunes amies autour de moi et Myriam, c’est un mélange de toutes ces filles-là qui mordent dans la vie, qui font des choses intéressantes, qui sont bien de leur époque, qui habitent la société et qui veulent la changer. »

Sa parole contre la mienne

Sa parole contre la mienne

Druide

440 pages
En librairie le 14 juillet