Quelques suggestions de bandes dessinées à découvrir.

Quel personnage que cette Joe Carstairs, riche héritière anglaise devenue pilote de bateaux de course, aventurière et séductrice en série ! Et rien n’est inventé ici : le personnage de Joe La Pirate est basé sur des faits réels, précisent les auteurs, qui ont bien sûr inventé les dialogues et ont pris quelques libertés ici et là avec certains des protagonistes.

En vedette : Une épatante aventurière

Joe La Pirate – La vie rêvée de Marion Barbara Carstairs

Joe La Pirate – La vie rêvée de Marion Barbara Carstairs

Glénat

227 pages

8/10

Toute jeune, Marion Barbara Carstairs affiche déjà sa singularité et donne du fil à retordre à sa mère, qui ne voit pas en elle une petite fille parfaite. Marion est têtue, s’intéresse à des activités qui ne sont pas destinées aux filles et décide d’elle-même de se rebaptiser Tuffy. Envoyée chez sa grand-mère à New York, elle fréquentera une école où les filles peuvent s’émanciper avant de revenir en Europe et de conduire une ambulance pendant la Grande Guerre.

Elle vit ensuite follement ses années folles. Elle aime les femmes et, après avoir été initiée, devient une redoutable séductrice. Sa longue liste de conquêtes comptera notamment l’actrice Tallulah Blankhead et Marlene Dietrich. Joe La Pirate est macho, aime les machines et la vitesse. Et sa richesse en a fait la propriétaire d’une île des Caraïbes… qu’elle gouverne avec un mélange d’esprit colonialiste et de sensibilité à l’égard de ses employés.

Joe La Pirate, c’est une traversée du XXsiècle sous un angle inusité et intéressant. Au-delà du personnage — attachant et parfois détestable —, c’est en effet une époque, ses mœurs et ses bouleversements sociaux qu’on redécouvre. Du point de vue d’une femme pas comme les autres, indépendante et effrontée, même. Tout ça grâce au scénario bien tourné d’Hubert et de la ligne claire et du noir et blanc maîtrisé de Virginie Augustin, qui donne de la vivacité au récit.

CAPTURE D’ÉCRAN

Extrait de Joe La Pirate – La vie rêvée de Marion Barbara Carstairs

La justice au temps de Franco

Contrapaso, t. 1 – Les enfants des autres

Contrapaso, t. 1 – Les enfants des autres

Dupuis

138 pages

8/10

Entre Emilio Sanz, vieil ours désabusé de la salle de rédaction de La Capitale, et Léon Lenoir, jeune loup fraîchement débarqué à Madrid, le courant ne passe pas au premier moment. Seulement, les deux journalistes sont épris d’un même désir de vérité, et quand les meurtres commencent à s’accumuler dans l’Espagne des années 1950, ils font la paire pour bousculer les plus puissants, bien au chaud sous le régime de Franco.

Avec le premier tome du diptyque Contrapaso, Teresa Valero signe son tout premier album solo. Et quel album ! À mi-chemin entre le roman noir, le thriller psychologique et l’enquête journalistique, ce récit fort bien tricoté est traversé par un souffle puissant. Le mystère est épais et le brouillard ne se dissipe que pour découvrir toute la cruauté d’un régime qui gardait l’Espagne à genoux. Le dessin ? Il a tout ce qu’il faut d’élégance, de vivacité et de justesse pour évoquer les heures sombres du pays d’origine de la bédéiste sans étouffer le lecteur. Vivement la sortie du second tome !

IMAGE FOURNIE PAR DUPUIS

Extrait de Contrapaso

Aider son prochain jusqu’à l’au-delà

En toute conscience

En toute conscience

Éditions Delcourt

224 pages

7/10

Si, au Canada, la question de l’aide médicale à mourir a été largement débattue (et l’est encore en raison de ses nombreuses zones d’ombre), il n’en est pas de même partout. En France, la pratique des soins de fin de vie n’est pas encore encadrée et c’est cette grave question qu’aborde, avec tendresse et humour, l’album En toute conscience. Les auteurs se sont inspirés des actions de l’association bien réelle nommée Ultime Liberté pour imaginer les militants d’un groupe imaginaire, tous de verts grands-parents bien décidés à aider leur prochain qui souhaite en finir. Seulement, Philippe, Christine et Mireille n’avaient pas prévu qu’un trentenaire avec toute la vie devant lui les contacterait pour soulager dans la mort une peine d’amour trop souffrante…

Un album puissant et fort intelligent, qui préfère s’attarder au vécu des membres du groupe plutôt que de débattre sans nuance — et avec prosélytisme — des grands débats éthiques et moraux entourant « l’interruption volontaire de vie », comme on l’appelle ici. À chacun de trouver les réponses aux questions délicates que cette lecture soulève.

IMAGE FOURNIE PAR DELCOURT

Extrait de l’album En toute conscience

L’enfant trans vu par sa mère

Transitions — Journal d’Anne Marbot

Transitions — Journal d’Anne Marbot

Delcourt/Mirages

172 pages

6/10

Transitions, c’est un journal de transition entre le féminin et le masculin, sujet de moins en moins tabou à notre époque. Sa particularité, c’est qu’il ne se concentre pas sur la personne trans, mais sur son entourage. En particulier la mère, qui doit apprendre à vivre avec le fait que sa fille est en fait un garçon.

Déjà, l’idée qu’il n’existe pas que des garçons et des filles et que le genre soit un « spectre » la bouscule profondément. Alors imaginez le temps qu’elle mettra à appeler Alex son enfant née Lucie… Et c’est en effet la trajectoire de cette maman, son obstination comme ses moments de culpabilité qui rendent cette histoire vraie, humaine et intéressante.

La bédéiste Élodie Durand, qui a eu accès libre au journal tenu par la maman en question (Anne Marbot), traite la situation avec beaucoup de délicatesse et toutes les nuances qui s’imposent. Or, en se fiant peut-être trop au journal tenu par son sujet, elle s’embarque aussi souvent dans des pages d’exposés plus théoriques ou très pédagogiques qui brisent le rythme et éloignent de ce qui fait la force de cette histoire : sa part d’humanité, ce dialogue imparfait entre une maman et l’enfant que, malgré tout, elle aime.

Autres sorties

Eat, and Love Yourself

Eat, and Love Yourself

Eat, and Love Yourself

Ankama éditeur

160 pages

Sweeney Boo, bédéiste anglo-montréalaise, propose un récit sympathique, avec une touche de fantastique, sur l’acceptation de soi d’une jeune femme de 27 ans. Un album qui ne réinvente pas la roue, mais qui se lit avec plaisir.

Le peintre hors-la-loi

Le peintre hors-la-loi

Le peintre hors-la-loi

Casterman

94 pages

À l’époque de la Terreur, Lazare Bruandet, peintre au verbe aussi affûté que son épée, part chercher asile à la campagne pour créer loin des tourments de la société. L’histoire a quasi oublié ce peintre et graveur français. Le bédéiste Frantz Duchazeau le ressuscite de belle façon avec cet album étonnant, notamment par sa facture graphique où se côtoient en parts égales beauté et laideur.

L’homme qui inventait le monde

L’homme qui inventait le monde

L’homme qui inventait le monde

Éditions Dargaud

78 pages

Le monde est en guerre et l’arme ultime pour gagner, c’est peut-être John Bowman, qui possède un pouvoir inouï et mystérieux. Un récit au propos intrigant, mais mené de manière un peu tape-à-l’œil (nudité inutile) et qui peine à tenir ses promesses.