An Ocean of Minutes, le tout premier roman de Thea Lim paru d’abord en anglais en 2018, a récolté des critiques élogieuses – dont le titre de « Meilleur livre de 2018 » par le Globe and Mail – en plus d’être finaliste au prix Scotiabank Giller.

La Canadienne d’origine singapourienne, qui vit à Toronto, où elle enseigne la création littéraire, a su construire un univers à la fois fascinant et troublant pour ce roman prenant, dont la traduction française, Un océan de minutes (par Christophe Bernard), vient d’arriver en librairie.

L’action se déroule sur plusieurs périodes, entre la fin des années 1970 et le début des années 2000. On y fait la rencontre de Polly et Frank en 1981, un couple amoureux qui vit à Boston. Ces derniers restent coincés à Houston, où ils étaient en vacances, alors qu’un virulent virus de la grippe (eh oui !) force les États américains à fermer leurs frontières et que seuls les nantis peuvent se permettre l’onéreux traitement qui permet d’en guérir. Tout ça alors qu’une mystérieuse entreprise, TimeRaiser, fait campagne afin d’enrôler des gens pour voyager dans l’avenir et contribuer à rebâtir les États-Unis de demain. Désespérée de sauver Frank, qui a attrapé le virus, Polly consent donc à voyager jusqu’en 1993 et signe avec TimeRaiser un contrat qui permettra à Frank de survivre. Le couple se promet de se retrouver dans l’avenir. Mais rien ne se passe comme prévu et Polly atterrit plutôt en 1998 dans un monde méconnaissable et sans repères.

Ce nouveau monde où Polly se retrouve, ce pays appelé « Amérique », territoire érigé au sud et séparé par une frontière avec les États-Unis, reste empreint de mystère. Entre la désolation des paysages, les maisons envahies par la végétation et les nouvelles constructions luxueuses que fait TimeRaiser grâce à l’arrivée massive de Voyageurs venus du passé, cet univers est à la fois inquiétant et menaçant, mais aussi parfois familier et empreint de beauté, comme si tout était question, finalement, de perspective. La romancière nous plonge dans cette réalité nouvelle à travers les yeux de Polly, prise dans une sorte de stupeur qui accentue sa confusion, évitant de trop expliquer ce qui a bien pu arriver pour que le monde change à ce point. Notre curiosité, par moments, aurait aimé être davantage assouvie sur ce point.

Dans sa nouvelle vie aliénante de servitude, Polly tente de s’accrocher, pour ne pas sombrer, à l’image de Frank, à leur promesse de retrouvailles, à son amour, aux souvenirs qu’ils ont partagés, afin de ne pas laisser cette réalité qui lui est étrangère la submerger et son identité se fragmenter, entre celle qu’elle était et celle qu’elle est en train de devenir. Saura-t-elle le retrouver ? Et surtout, seront-ils encore les mêmes ?

Malgré sa prémisse, Un océan de minutes est moins une uchronie – même si le roman réécrit effectivement l’histoire – qu’un récit intimiste sur le passage du temps et sur la façon dont l’identité que nous nous construisons y est intimement liée, sur ce qui nous file entre les doigts et qui ne pourra plus jamais revenir, les souvenirs qu’on tente de fixer comme sur une pellicule, tentative peut-être vaine, mais aussi essentielle à notre humanité, pour garder le passé en vie. « Quand quelqu’un meurt, on n’a plus cette personne avec qui partager nos souvenirs. Nos souvenirs deviennent semblables à des secrets. Une vie secrète. Personne d’autre que nous ne sait qu’on l’a vécue », dira un des personnages.

Un récit émouvant, qui montre aussi la force des liens humains qui se tissent malgré l’adversité et les différences, et nos quêtes qui sont, finalement, universelles.

Un océan de minutes
Thea Lim
Traduction de Christophe Bernard
XYZ
376 pages 
★★★½