Quand une auteure arrive précédée d’une comparaison avec Susan Sontag et Joan Didion, disons que les attentes sont élevées. Or c’est bel et bien à ces deux monstres sacrés de la littérature américaine qu’on a comparé Leslie Jamison, dont c’est seulement le troisième livre (le deuxième en français, car le premier, The Gin Closet, n’a pas été traduit).

Les livres de Jamison ne sont pas des romans, ce sont des récits (en anglais, on classe son œuvre dans la catégorie nonfiction) dans lesquels l’auteure part de sa propre histoire pour aborder un thème plus large.

Dans Récits de la soif, c’est de son alcoolisme chronique qu’il est question, mais surtout de son chemin vers l’abstinence. À travers son expérience, elle revisite les écrits de grands noms de la littérature dont la vie est intimement liée à la dépendance (Carver, Burroughs, Wallace, etc.) et interroge le rapport de la société nord-américaine à l’alcoolisme. Son livre n’est pas une histoire de descente aux enfers et de rédemption comme on en a vu si souvent. C’est une démarche littéraire à la fois brillante et très honnête.

Les soirs de scotch…

Leslie Jamison a commencé à boire en cachette à l’adolescence. Issue d’une famille très aisée, elle est la fille et la petite-fille d’alcooliques fonctionnels. Elle boit pour toutes sortes de raisons, parmi lesquelles la conviction que l’alcool lui donne de la texture, du vécu. Et puis, disons-le, parce que le mythe de l’artiste aux prises avec des problèmes de dépendance est tenace.

Étudiante en littérature, elle est obsédée par ce sujet : elle lit des auteurs alcooliques, elle consacre sa thèse à la question du lien entre dépendance et création dans la littérature américaine du XXe siècle. Elle continue à boire, mais sans jamais perdre de vue son ambition de devenir écrivaine. Elle est même admise au très convoité programme d’écriture créative de l’Université de l’Iowa (Iowa Writers’ Workshop), lieu mythique qui a formé pas moins de 17 Prix Pulitzer !

La sobriété est une épopée en soi, un chemin rempli d’obstacles, mais surtout de combats contre soi-même que ceux et celles qui sont capables de franchise et d’introspection ont de meilleures chances de remporter. Un peu comme l’écriture, finalement. Leslie Jamison devient une participante assidue aux rencontres des Alcooliques anonymes, où chaque alcoolique doit justement se raconter et offrir aux autres un récit qui explique d’où il vient et pourquoi il boit. D’une certaine manière, les deux univers – le rétablissement et la littérature – s’épousent parfaitement.

Exercice d’empathie

Une des peurs de Leslie Jamison : que les gens aient l’impression d’avoir déjà lu son histoire, d’avoir déjà lu « ce livre-là ». Au fond, les histoires de rédemption finissent toutes par se ressembler : boire, penser à boire et boire encore. Jusqu’à atteindre le fond du baril ou en mourir.

Mais la vérité, c’est qu’on a été happée dès les premières lignes de cette brique de plus de 500 pages. Le style, la franchise du ton, l’intelligence du propos… L’auteure nous emmène et ne nous lâche plus. On ressort de cette lecture plus instruite, plus empathique (l’empathie est d’ailleurs le sujet de son précédent livre) et complètement attachée à cette fille singulière.

Leslie Jamison se demandait si l’abstinence ferait une bonne histoire. La réponse est oui. Absolument.

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Récits de la soif – De la dépendance à la renaissance, de Leslie Jamison

Récits de la soif – De la dépendance à la renaissance
Leslie Jamison
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson
Pauvert
539 pages
★★★★