Acteur, cinéaste, animateur de radio et maintenant auteur. À défaut de monter sur scène pour présenter son spectacle, Édouard Baer publie Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, le texte d’un spectacle dans lequel ce touche-à-tout rend hommage aux écrivains qui l’ont marqué. Entrevue avec un créateur confiné de corps, mais pas d’esprit.

La Presse : Comment allez-vous, Édouard Baer ?

Édouard Baer : Ça va. Avec le couvre-feu à 18 h à Paris, on est réduit à ne croiser que les gens de sa famille ou ceux avec qui on travaille. Or, le sel de la vie, c’est de croiser des gens par hasard. Il y a un moment où on devrait peut-être s’interroger sur ce qu’on accepte de sacrifier pour prolonger la vie de quelques années. Je ne vais pas me plaindre, là… Je suis absolument solidaire des gens qui travaillent dans le milieu de la santé et des gens vulnérables. J’ai moi-même eu une forme assez sévère de la COVID. J’ai passé trois semaines au lit et il m’a fallu deux mois pour m’en remettre. Mais je m’interroge tout de même sur tous ces aspects de la vie qu’on sacrifie.

Vous publiez le texte du spectacle que vous présentiez sur scène avant que tous les théâtres ne ferment. Comment décririez-vous cette pièce de théâtre qui n’en est pas vraiment une ?

É.B. C’est un peu comme un happening. Je me suis sauvé et je me trouve dans le théâtre voisin de celui où je devais présenter mon spectacle. Je ne sais pas ce que ça donne en livre, car en direct, la puissance du spectacle, c’est d’arriver dans l’inattendu. Je n’entre pas par la scène, mais plutôt par la salle. Bref, tout le spectacle repose sur cette idée que je ne suis pas là où je devrais être. Ensuite, c’est aussi un prétexte pour rendre hommage à des écrivains que j’aime.

Les écrivains sont importants dans votre vie ?

É.B. : À travers un livre, on rencontre un ami. C’est ça, un livre, c’est se faire des amis. Pour l’écrivain et pour le lecteur. Les livres qui nous touchent le plus, on a l’impression qu’ils ne s’adressent qu’à nous. Que l’auteur nous chuchote à l’oreille.

Quel genre de lecteur êtes-vous ?

É.B. : J’ai un rapport de culpabilité avec les livres parce que mon père avait beaucoup, beaucoup lu. J’ai eu l’impression très tôt, quand j’ai commencé à parler, que j’aurais dû « avoir lu ». Quand on sait qu’on n’a pas fait quelque chose, on a toujours l’impression qu’il est toujours trop tard pour le faire. Mon rapport de culpabilité, il est surtout à l’endroit des grandes œuvres. Alors, j’ai pris la littérature en biais, par de petites choses, par les cancres. Quand j’étais adolescent, j’aimais beaucoup Pagnol. Après, je me suis fait mon petit musée à moi, avec Patrick Modiano, entre autres, qui m’a accompagné, comme écrivain, dans une souffrance qu’on peut ressentir quand on est un jeune homme qui se sent absent aux choses.

Pourquoi lisez-vous ?

É.B. : Je lis pour être heureux. Pour qu’il y ait d’autres dimensions à la vie, de la profondeur. Parce que sans imagination, l’homme est un tas de viande, quoi ! La vie, vue par les écrivains, ça devient extraordinaire. C’est donner de la poésie au banal. Le livre nous fait entrer dans un autre espace-temps. Je ne lis pas pour résoudre des problèmes, je lis pour en ajouter. Pour ajouter de l’intensité et de la densité à la vie.

Quels livres vous ont accompagné pendant la pandémie ?

Des livres qui n’ont rien à voir, des écrivains de voyage, par exemple, comme Nicolas Bouvier. Ou des histoires africaines. Amadou Hampâté Bâ, que je n’avais jamais lu et qui est extraordinaire. Et la pandémie m’a permis de m’attaquer aux grandes œuvres qu’on est censé avoir lues comme, de Proust. C’est un livre qui m’a toujours intimidé. Je me suis lancé et ça a été assez incroyable. J’ai eu le plaisir de le lire en dehors de tout vernis social. Je ne cherchais plus à l’avoir lu, c’était seulement pour le plaisir de le lire. En pandémie, on ne sait plus si on est le jour ou la nuit. Pouvoir vivre à l’intérieur d’un livre, c’est une expérience très, très forte. Et puis ça y est, je suis enfin un Français, j’ai lu Proust [rires] !

Quand on entend vos monologues d’ouverture à la radio, on se demande toujours s’ils sont improvisés ou si vous avez mis beaucoup de temps à les écrire. Quel rapport avez-vous à l’écriture ?

É.B. : Mes ouvertures pour la radio sont des improvisations. J’écris seulement quelques phrases sur une feuille pour me rappeler le mouvement général, des phrases charnières. Pour le reste, je me laisse inspirer par la musique, je suis dans l’émotion. Je veux reproduire les impressions du matin, quand on est à moitié réveillé, à moitié conscient. C’est un peu l’effet recherché. Pour le reste, quand j’écris un texte pour une préface, par exemple, c’est une torture. Mais après, je me sens libéré.

Vous êtes venu enregistrer votre émission de radio à Montréal à l’été 2018. Quel lien avez-vous avec notre ville ?

É.B. : Je me sens bien quand je marche dans Montréal. Il y a un truc qu’on trouve chez vous, et dans quelques villes de Belgique, c’est le plaisir de trouver normal de parler à des gens qu’on ne connaît pas, de lier la conversation. Ça me rappelle mon enfance dans les années 1970, quand tout le monde se parlait au café. Peut-être qu’on idéalise les choses un peu, mais j’ai retrouvé ça à Montréal, cette facilité de parler aux gens.

Chaque fois que je fais un film, j’espère toujours que je pourrais aller le présenter au Québec. Et quand ma tournée reprendra, on a bien l’intention d’aller présenter mon spectacle chez vous. Et puis, parlant du Québec, je prépare une série de faux documentaires radio pour France Inter. Ça va s’appeler Les aventures rocambolesques d’Edouard Baer et Jack Souvant à travers le monde. C’est une sorte de voyage sonore qui m’amène à interviewer de vraies personnes sur de faux sujets. C’est conçu comme un polar. J’ai tout un segment sur le Québec qui va s’appeler Main basse sur la chanson francophone [rires]. Je présente une théorie [du complot] qui prétend que le Québec finance entièrement la chanson mondiale à condition que les chanteurs français acceptent de chanter avec l’accent québécois [rires]. Ce sera disponible en podcast ce printemps.

En terminant, pouvez-vous me dire quels livres se trouvent actuellement sur votre table de chevet ?

É.B. : Je ne suis tellement pas concentré ces temps-ci que je ne lis même pas des romans, je lis des dictionnaires amoureux juste pour avoir quelque chose à lire avant de dormir. Là, je lis le Dictionnaire amoureux du judaïsme. Ça me permet de me cultiver et c’est bien écrit. Attendez, je vais dans ma chambre pour aller voir ce qu’il y a [rires]. Alors… il y a Édouard Glissant ; j’ai lu les cinq premières pages. Je relis aussi Modiano puis Le maître de Ballantrae, de Stevenson, et les poèmes de Benjamin Péret. Et enfin, Cochons. Voyage aux pays du vivant, d’Erik Orsenna. Voilà !

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, d’Édouard Baer

Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce
Édouard Baer
Seuil
160 pages
En librairie le 3 mars