On ne peut que saluer l’ambition de ce grand chantier littéraire lancé par Éric-Emmanuel Schmitt, cherchant à romancer l’histoire de l’humanité à travers une seule et même paire d’yeux, celle du vaillant Noam, né il y a 8000 ans au sein d’un village préhistorique.

Alors aux grands mots les grands moyens, puisque Paradis perdus ne constitue que la première brique (570 pages) d’une vaste muraille baptisée La traversée des temps, dont les huit tomes devraient totaliser à terme 5000 pages ! Un projet mûri par l’auteur depuis des décennies. Cette première partie remonte aux origines de Noam et aux premiers chapitres de son destin dramatique, confronté aux intrigues familiales et amoureuses de son propre clan, dont la face cachée de son père, ainsi qu’à un lot d’épreuves à saveur biblique. Par flashs, on retrouvera ce protagoniste devenu immortel à Beyrouth, au XXIe siècle, à l’aube d’un nouveau désastre.

Ce qui nous a séduit : la grande vision du projet, à cheval sur le romanesque et l’encyclopédique ; le rythme percutant des rebondissements ; certains passages et réflexions particulièrement exaltants servis par un vocabulaire fouillé.

Ce qui nous a moins emballé : la narration collectionnant les clichés cinématographiques un tantinet nunuches (trébucher sur une racine d’arbre lors d’une course, détourner son arme à la dernière seconde, etc.) ; le déluge d’aphorismes inondant les dialogues – procédé qui servait à merveille les courts écrits de Schmitt, tel le délicieux Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, mais dont la solennité s’avère quelque peu indigeste dans ce format fleuve.

Dans l’ensemble, l’épopée de Noam reste haletante, avec une approche ambitieuse et originale sur le cheminement de l’humanité, sur fond de péripéties romanesques. Mais le côté « téléfilm » de la narration et certaines incongruités pourraient refroidir, voire hérisser, certains lecteurs. Prélever un échantillon pour en juger le ton avant de s’y attaquer pour de bon ne constituera sans doute pas une mauvaise idée.

★★★
Paradis perdus 
Éric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel
570 pages