C’est l’histoire de la naissance d’une femme, née dans le corps d’un garçon. Un vibrant témoignage, par moments dur, quoique déchirant d’humanité. Et poétique, par-dessus le marché. La fille d’elle-même, premier roman de Gabrielle Boulianne-Tremblay, est aussi la première autofiction québécoise à aborder la complexe et non moins existentielle question de la transidentité.

Toute délicate derrière la caméra, Gabrielle Boulianne-Tremblay a l’habitude de défoncer les portes. Après avoir été la première femme trans à se faire remarquer aux prix Écrans canadiens (nommée comme meilleure actrice de soutien, on s’en souvient, pour le très exigeant Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau), la voici qui fait parler d’elle de nouveau, avec ce remuant premier roman, une autofiction qu’on devine thérapeutique. Pas mal pour une fille qui a abandonné ses études après une petite année de cégep.

« J’ai souvent le syndrome de l’imposteur », confirme l’autrice à la plume prometteuse, à qui l’on doit déjà deux recueils de poésie. « Je n’ai pas d’expérience en littérature. Mais j’ai l’expérience du vécu. Et la passion de le transmettre ! »

Une expérience immersive

Écrit au « je » et au féminin tout du long, son roman raconte le parcours d’un enfant différent, donc, de ses premiers pas maladroits au primaire jusqu’à sa (re)naissance en tant que femme, au début de l’âge adulte. Trois cents pages de récit bouleversant, et ce, dès les premiers instants. Car l’enfant en question, qui n’a par ailleurs pas de nom, se fait toujours appeler « mon fils ». Et c’est voulu. « Je voulais une expérience immersive pour le lecteur ou la lectrice. C’est écrit au je, pour qu’elle tienne la main du lecteur, pour qu’elle porte le nom de ceux ou celles qui la lisent. Je trouvais ça intéressant. »

Intéressant et efficace, car on saisit et ressent d’autant mieux le malaise – l’abyssal malaise – quand elle se fait appeler « mon gars » ou, pire, « mauviette ». « J’ai pas élevé une tapette », poussera même le paternel.

Précision : il s’agit d’une autofiction, faut-il le répéter, et certains passages, notamment la famille dysfonctionnelle, entrent dans cette portion fictive. « Moi, j’ai le privilège d’avoir une famille qui me soutient, précise l’autrice, qui a commencé à écrire très jeune (« j’étais une personne très solitaire, sans beaucoup d’amis »). Mais je sais que ce n’est pas le cas pour la majorité. » Et avec ce roman, elle s’est donné la mission de mettre en lumière l’éventail des difficultés que subissent les personnes trans (incompréhension/négation familiale, malaise/mal-être social, quêtes/déchirures amoureuses, idées/tentatives suicidaires, etc.).

Mon but, c’est d’éveiller l’empathie chez les gens.

Gabrielle Boulianne-Tremblay, autrice et comédienne

Une agression qui marque

D’autres aspects sont plus autobiographiques, notamment ce très dur passage sur son agression, un souvenir trash que Gabrielle Boulianne-Tremblay a su raconter avec pudeur, et juste assez de détails pour qu’on en saisisse toute l’horreur. Et l’inhumanité. « Moi, j’ai été personnellement victime d’agression. Ça ne me dérange pas d’en parler parce qu’on est dans une vague de dénonciations et de #metoo, et je pense qu’il est important d’en parler. Mais ça a été un défi de travailler cette scène-là. »

Elle tient à le préciser : « Je ne fais rien de gratuit. » Car c’est un fait : un (trop) grand nombre de personnes trans sont victimes d’agressions très tôt dans leur vie, et (trop) nombreuses sont celles qui font aussi des tentatives de suicide. Qu’on se le dise : « Ce sont des personnes fragiles et vulnérables. Et il faut que ça cesse. Mon livre est une sorte de drapeau blanc : on est humains comme les autres ! »

Et c’est précisément ce qui ressort du texte, que Gabrielle Boulianne-Tremblay avoue avoir écrit « avec ses tripes », et qu’on lit par moments comme de la poésie. Oui, malgré toute la souffrance dont il est question. Un exemple entre mille : « Les choses heureuses qui n’existent pas peuvent être plus douloureuses que les choses tristes qui existent », dira le personnage, une citation qui risque de résonner chez bien des lecteurs, trans, LGBTQ ou non, d’ailleurs. Parce que le propos de la quête, qu’elle soit identitaire, amoureuse ou sociale, est avant tout universel. « Ça rejoint la construction de l’identité en général, avance l’autrice. Quelle est notre place dans la société ? Tous, on vibre à l’amour, pour cette quête du bonheur. »

Et la conclusion l’est tout autant. Au bout du compte, sans vous vendre quoi que ce soit, le personnage, après avoir touché le fond, comme on dit, rebondit. « En dehors de la question de la transidentité, il faut prendre le temps de s’écouter, écouter son cœur, ses intuitions. C’est important d’être en accord avec sa vérité », dit aussi Gabrielle Boulianne-Tremblay.

Une fin lumineuse où conviction rime enfin avec humanité.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS MARCHAND DE FEUILLES

La fille d’elle-même, de Gabrielle Boulianne-Tremblay

La fille d’elle-même, de Gabrielle Boulianne-Tremblay, aux éditions Marchand de feuilles, 334 pages. En librairie le 25 février