(Londres) Le Booker Prize, prestigieux prix littéraire britannique, a été attribué jeudi soir à Londres à l’Écossais Douglas Stuart pour Shuggie Bain, son premier roman, qui se déroule dans la ville de son enfance, Glasgow.

Margaret Busby, présidente du jury, a qualifié le roman d’« audacieux, effrayant et bouleversant » lors d’une cérémonie dans la salle de spectacles Roundhouse, dans le nord de Londres.

Shuggie Bain raconte l’histoire d’un garçon solitaire, Shuggie, en quête d’identité, qui voue un amour inconditionnel à sa mère alcoolique, Agnes, et lui reste fidèle dans sa descente aux enfers, dans le Glasgow des années 1980 sous le thatchérisme, marqué par la pauvreté, la crise économique, la marginalisation des classes populaires et le communautarisme religieux.

Cette grande fresque de vies ordinaires ravagées, qui met magistralement en scène amour, frustration, dépendance et autodestruction, est un ouvrage aussi prenant que douloureux.

« J’ai grandi à Glasgow dans les années 1980, à une époque incroyablement difficile », a raconté Douglas Stuart par vidéoconférence. Écrire ce livre a agi comme une thérapie, a-t-il confié.

Il a rendu hommage à sa mère qui « a souffert de dépendances et n’a pas survécu à ces dépendances ».

« Ma mère serait ravie […] et je pense qu’elle serait fière », a ajouté le primo-romancier, qui gagne une récompense de 50 000 livres (environ 87 000 $) et l’assurance d’une renommée internationale.

Âgé de 44 ans, l’auteur vit à New York où il travaille dans la mode.

PHOTO FOURNIE PAR GROOVE

Shuggie Bain

La lecture comme échappatoire

La cérémonie était organisée à Londres, mais les six finalistes du prix, qui récompense chaque année l’auteur du « meilleur roman écrit en anglais », la suivaient à distance, pandémie oblige.

Dans un message vidéo diffusé pendant la soirée, la duchesse de Cornouailles Camilla, épouse du prince Charles, a souligné l’importance de la lecture dans cette période difficile. « Tant que nous pouvons lire, nous pouvons voyager, nous échapper, explorer », a-t-elle déclaré.

L’ex-président américain Barack Obama a aussi salué le pouvoir des mots, expliquant dans une vidéo s’être « toujours tourné vers l’écriture pour donner un sens à notre monde ».

Quatre primo-romanciers — les Américains Diane Cook, Avni Doshi et Brandon Taylor, et l’Écossais Douglas Stuart — figuraient en finale, leurs œuvres explorant des thèmes allant du changement climatique au racisme en passant par les liens familiaux.

The New Wilderness de Diane Cook est une fiction dystopique sur fond de crise climatique. L’Américaine élabore actuellement un scénario basé sur ce roman dont Warner Bros a acheté les droits pour l’adapter en série.

Comme dans The New Wilderness, Burnt Sugar de l’Américaine Avni Doshi explore la relation conflictuelle entre une mère et sa fille, mais cette fois dans l’Inde contemporaine.

Dans Real Life de l’Américain Brandon Taylor, on suit Wallace, un jeune homosexuel noir confronté au racisme lors de ses premiers pas sur un campus du Midwest américain, à mille lieues de son enfance en Alabama.

Figuraient également l’écrivaine zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga pour This Mournable Body, le troisième tome d’une trilogie débutée avec Nervous Conditions (À fleur de peau dans la version française), sur le parcours d’une jeune fille du Zimbabwe sombrant dans la pauvreté.

Première autrice éthiopienne à figurer en finale du Booker Prize, Maaza Mengiste avait été retenue pour The Shadow King qui décrit le soulèvement de citoyens ordinaires contre l’invasion italienne dans l’Éthiopie des années 1930, à travers le personnage d’Hirut.

Ces six finalistes ont été sélectionnés après lecture de 162 romans publiés au Royaume-Uni ou en Irlande entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020.

Parmi les romanciers déjà distingués par ce prix figurent Hilary Mantel, Salman Rushdie et Julian Barnes.

L’an dernier, fait rare, le Booker Prize avait été remis à deux lauréates : les écrivaines canadienne Margaret Atwood et anglo-nigériane Bernardine Evaristo, respectivement pour Les Testaments et Girl, Woman, Other.

« Ma vie quotidienne n’a pas changé, je fais toujours la lessive, je regarde toujours la télévision le soir, etc., mais j’ai l’impression d’avoir été lancée dans le monde en tant qu’écrivaine », a raconté jeudi Bernardine Evaristo.