C’est de loin le roman le plus volumineux de la rentrée : Les lionnes fait 1108 pages, un véritable tour de force littéraire. En nomination pour le prix Man Booker l’an dernier, ce huitième roman de Lucy Ellmann (qu’on connaît peu en français, car seulement deux de ses livres, dont celui-ci, ont été traduits) est un vrai défi de lecture.

Mais pourquoi lirait-on ce pavé ? D’abord parce qu’en confinement, on a le temps.

Plus sérieusement, parce que c’est un exercice de style absolument époustouflant : un long monologue sans ponctuation comme si on entrait dans la tête de cette femme « au foyer » de l’Ohio, mère de quatre enfants. Une femme ordinaire, donc, qui observe la vie quotidienne et la société tout en vaquant à ses tâches domestiques.

Ses pensées, comme les nôtres, sont décousues, sautent du coq à l’âne, empreintes tour à tour d’anxiété, d’inquiétude, de colère, de bonheur furtif, d’indignation…

Son long soliloque s’abreuve aux préoccupations qui sont communes à bien des femmes : l’éducation et le bien-être des enfants, la maternité, la condition féminine, le vieillissement, la maladie, mais aussi des questions plus vastes comme l’environnement, la politique (Trump, bien sûr), l’incertitude généralisée face à l’avenir, les chancellements de l’économie… Mais aussi la culture populaire, les séries télé, le cinéma… Ajoutez à cela des souvenirs d’enfance, des observations plus superficielles, un bruit qui vient interrompre le fil de la pensée de la narratrice et vous avez là une trame narrative absolument riche et déstabilisante.

Chacune des observations est comme une vignette du quotidien. Placées les unes à la suite des autres, elles composent une immense fresque de la vie d’une femme qui, au fond, est assez universelle.

Ça pourrait être interminablement long, mais l’auteure a ponctué son texte en commençant chaque nouvelle idée par « le fait que »… C’est ce « le fait que » qui rythme le flot des pensées de la narratrice et qui nous permet à nous, lecteurs, de ne pas nous noyer dans cette déferlante.

Enfin, Les lionnes est aussi un portrait (critique) de l’Amérique. Lucy Ellmann vit aujourd’hui en Écosse, mais elle est originaire des États-Unis. Et en fin de compte, c’est de la société américaine qu’il est question dans ce grand cri rempli de passion.

★★★★
Les lionnes
Lucy Ellmann
Traduit de l’anglais par Claro
Seuil
1108 pages