La journaliste et rédactrice Elisabeth Massicolli signe avec La bouche pleine un premier roman qui n’est ni un guide féministe ni à placer dans la catégorie de la « chick lit », mais qui offre plutôt un instantané d’une génération allumée, mais terriblement anxieuse et parfois égoïste, aux prises avec ses tourments intérieurs.

Depuis quelques années, le genre de l’autofiction a la cote, bien souvent auprès d’auteurs qui en sont à leur premier roman. Mais si Camille, la narratrice du récit de La bouche pleine, est à certains égards son « alter ego fictive », ce roman n’est pas une autofiction, assure Elisabeth Massicolli, rencontrée (à 2 mètres !) par un beau vendredi après-midi ensoleillé sur la terrasse de la VV Taverna, théâtre de quelques soirées (très) arrosées dans ce roman cru, mais portant du même souffle une grande sensibilité en témoignant du mal-être de sa protagoniste.

« Je n’avais pas envie d’écrire un journal intime. Je trouve ça rough, l’idée de dévoiler mon intimité au grand jour. Bien sûr, il y a des trucs inspirés de ma vie ou de choses qui sont arrivées à mes amis, car on écrit souvent à partir de ce que l’on connaît. Cela m’a permis de mettre une distance et de prendre des libertés », juge-t-elle.

La tête pleine

Donc, oui, Camille lui ressemble à certains égards – surtout ses défauts, dit en riant l’écrivaine, qu’elle a pour ainsi dire « exorcisés » dans ce roman –, mais elle a surtout voulu, à travers ce personnage, offrir un instantané de sa génération.

Une génération qui se plaint « la bouche pleine », comme suggère le titre de son roman ? Peut-être. Mais aussi une génération qui cherche sa place dans un monde sens dessus dessous, qui cumule les dates souvent vides de sens, trouvées sur les applis de rencontres, qui engourdit l’anxiété à grandes lampées d’alcool, de joints et de sexe, qui évolue dans un monde professionnel abrutissant où il faudrait avoir de l’ambition à tout prix. Qui a soif de légèreté, mais est lourde de complexes, comme l’est Camille, une angoissée existentielle qui tente de jouer la game, mais qui se sent toujours en décalage, toujours à la mauvaise place.

Et qui est, disons-le, beaucoup trop dans sa tête, car « l’anxiété prend toute la place ».

Camille est prise dans son cerveau. Elle a les yeux virés par en dedans ; elle est juste capable de regarder ce qui se passe dans sa tête et elle devient complètement déconnectée de ce qui se passe autour d’elle, de ses relations. Elle en devient un peu narcissique.

Elisabeth Massicolli

Cette idée d’instantané est accentuée par l’action du roman, qui se déroule sur une courte période de trois semaines. Sans jamais se référer directement au mouvement #metoo ou à ses convictions féministes, la journaliste et rédactrice de métier raconte, avec des évènements qui peuvent sembler anodins en apparence, comment une jeune femme peut se sentir dans notre monde moderne.

« Je voulais que les gens sentent l’angoisse et la peur qui viennent avec le fait d’être une jeune femme dans l’univers, en racontant les micro-agressions, les commentaires, les choses qu’on a intériorisées… Comme lorsque Camille s’en va à une entrevue et qu’elle est très self-conscious de son apparence, se demande si elle a mis trop de rouge à lèvres, est habillée trop sexy… », donne en exemple Elisabeth Massicolli, qui espère que son roman trouvera aussi son public masculin.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Journaliste et rédactrice de métier, Elisabeth Massicoli se lance pour la première fois dans l’univers de la fiction.

Je ne voulais pas que mon roman soit catégorisé comme de la "chick lit". Pourquoi on genre la littérature ? Quand un livre est écrit par un auteur masculin et met en scène des hommes, on ne parle pas de "dick lit" !

Elisabeth Massicolli

Oui, la jeune Montréalaise s’exprime dans un français mâtiné d’anglais. Comme bien des gens de sa génération. Et pas question pour elle de changer pour plaire aux défenseurs de la pureté de la langue française. Son franglais, elle l’assume complètement. « Je voulais donner une image crue et vraie de c’est quoi, avoir 25 ans à Montréal. Il y a un processus, une réflexion derrière chaque mot qui est en anglais. Je trouvais que c’est ce qui sert le mieux mon roman, ce qui nous rapproche vraiment de la vérité. »

Écrire, enfin

Ce roman habité par une plume allumée et des dialogues qui sonnent vrai, Elisabeth Massicolli le porte en elle depuis longtemps. Mais avec son travail de rédactrice en chef à Elle Québec, où elle a chapeauté pendant plusieurs années les contenus culture et société, elle ne trouvait pas l’espace pour s’y mettre entièrement. C’est en prenant la décision de s’expatrier à Rome en 2018 – son père est Italien d’origine, mais elle n’a appris les rudiments de l’italien qu’une fois là-bas – et de devenir pigiste qu’elle a pu enfin concrétiser ce projet qui l’habitait.

« Ce roman-là a vraiment grandi avec moi tout au long de ma vingtaine, mais ça m’a pris du temps à trouver la bonne façon de raconter ce que je voulais dire. » L’Italie s’est révélée une terre fertile ; elle a fait de l’écriture du roman une « aventure », rédigeant ici dans un café du quartier Pigneto à Rome, où elle habitait, là en France, en Sicile ou en Espagne. « Il y a pire dans la vie ! », lance-t-elle en riant.

C’était un peu le projet d’une vie, ce déménagement en Italie, et la jeune femme n’avait pas l’intention de revenir de sitôt. Un rêve qui a pris des allures de cauchemar en raison de la pandémie lorsqu’elle a dû rentrer, tambour battant, à Montréal, alors qu’elle se trouvait en week-end à Vienne avec comme tout bagage une petite valise et son ordinateur portable. « Je suis revenue ici avec presque rien. Mes premiers mois ont été vraiment difficiles. Mais je me suis rendu compte que, dans le fond, on n’a pas besoin de tant de choses que ça. »

Mais qu’on ne s’y trompe pas : dès que ce sera possible, elle retournera en terres italiennes. Et, qui sait, y trouvera l’inspiration pour poursuivre les aventures de Camille.

PHOTO FOURNIE PAR QUÉBEC AMÉRIQUE

La bouche pleine, Elisabeth Massicolli, Québec Amérique, 176 pages

La bouche pleine

Elisabeth Massicolli

Québec Amérique

176 pages