À 82 ans, Michelle Labrèche-Larouche lance ce mois-ci un livre sur les (nombreux) hommes de sa vie, en plus d’amorcer une collaboration à l’émission Salut Bonjour à TVA. Discussion avec une super-mamie qui n’a peur de rien.

« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres », scandait le poète Mallarmé. Pas pour Michelle Labrèche-Larouche. À 82 ans, l’ex-journaliste à Châtelaine publie un livre dans lequel elle revient sur ses nombreuses conquêtes sexuelles. Sans filtre ni vulgarité. Les 40 hommes de ma vie — couchés sur le papier est un croisement entre l’autobiographie, le journal de bord et le roman de chick lit. À l’exception du fait que son auteure a connu son premier amour à l’époque de Maurice Duplessis, puis s’est mariée à l’église… pour le meilleur et pour le pire.

La Presse rencontre Michelle Labrèche-Larouche dans son petit appartement au 11étage d’une tour du centre-ville. Le décor est très encombré. Les rayons sont bondés de livres rares et les murs tapissés de cadres. Une photo nous montre son défunt mari, le comédien Gaétan Labrèche, en costume d’époque au théâtre dans un Molière. En dessous, la mère pose avec son célèbre fils Marc, qu’elle enlace dans un remake de La Pietà ; un cliché pris pour un reportage dans un magazine qu’elle a dirigé. « J’ai une famille très douée », avance la super mamie, en désignant une œuvre abstraite de sa petite-fille, Léane Labrèche-Dor, accrochée sur un autre mur.

La famille Labrèche
  • Le comédien Gaétan Labrèche, défunt mari de Michelle Labrèche-Larouche

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

    Le comédien Gaétan Labrèche, défunt mari de Michelle Labrèche-Larouche

  • Son fils, Marc Labrèche

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    Son fils, Marc Labrèche

  • Sa petite-fille, Léane Labrèche-Dor

    PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

    Sa petite-fille, Léane Labrèche-Dor

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« Michelle est curieuse, dynamique, bienveillante, m’avait vanté son ami, l’écrivain et ex-critique André Ducharme. Elle n’a peur de rien ! C’est une aventurière, un modèle d’émancipation, un parangon de liberté. Michelle m’a tout appris dans mon métier. Mais elle m’a surtout appris à être moi-même. »

Tandis que la conversation s’anime dans le salon, la grand-mère devient une jeune fille allumée, vive, et un brin timide. Elle répond avec franchise aux questions. D’abord, le secret de votre santé de fer ? « Je fais toujours ce que j’ai envie de faire. Je mange et je bois ce que je veux manger et boire. Je ne me prive de rien. »

La liane grimpante

Michelle Labrèche-Larouche a eu l’idée de son nouveau livre après avoir fait un voyage initiatique dans un ashram en Inde, il y a deux ans. Dans un chapitre, La liane grimpante, l’auteure raconte avoir cédé aux avances d’un Indien moustachu, dans la quarantaine, qui l’a initiée au Kamasutra ! De retour à Montréal, la mamie a poursuivi la relation à distance grâce à WhatsApp.

« J’étais envoûtée par lui et je voulais repartir en Inde avec deux amies, explique-t-elle. Je lui ai demandé de louer trois chambres à l’hôtel où il travaille. Il a mal réagi. Il m’a reproché de ne pas venir “juste pour lui”. Et m’a dit : “C’est quoi, tu veux du sexe en groupe !” Aïe ! Toi là, tu ne vas pas me contrôler à une dizaine de milliers de milles. J’étais fâchée ! Puis la pandémie est arrivée et mon téléphone est tombé en panne. »

Malgré ce revers, Michelle Labrèche-Larouche ne met pas encore un point final à ses amours.

Je prendrais bien une nouvelle aventure, j’adore ça ! C’est tellement extraordinaire, une passion amoureuse, il n’y a rien qui bat ça pour moi.

Michelle Labrèche-Larouche

« Mariée avec moi-même »

Rien ne prédisposait la fille d’un épicier de Deux-Montagnes à devenir cette femme éprise de liberté qui cumule les histoires d’amour. « Je suis tombée en amour à 15 ans [avec Gaétan Labrèche]. Je me suis mariée quatre ans plus tard, en croyant que je passerais le reste de ma vie avec mon mari. Mais à 30 ans, j’ai divorcé. Puis, j’ai voulu travailler, gagner ma vie, voler de mes propres ailes. Parce que Gaétan, à l’instar de mon père, aimait bien me contrôler. »

Dans son livre, l’auteure se désole d’avoir été contrainte à abandonner ses études en littérature à l’université pour se marier. Son père lui a dit : « Tu n’as pas besoin de ça pour changer des couches ! »

Après son divorce en 1968, Mme Labrèche reprend son nom de jeune fille et restera toujours célibataire, sans cohabiter avec personne : « Je suis mariée avec moi-même », dit-elle. Mais pourquoi n’avoir jamais tenté de vivre à nouveau en couple ? « J’ai peur de l’engagement, répond-elle. Pour moi, c’est synonyme de perdre sa liberté. “Qui prend mari, prend pays”, dit le dicton. Ma mère m’a appris ça. Cela explique pourquoi les hommes que je rencontre sont tous inaccessibles. »

Je pense que pour être aimée par le même homme toute une vie, il faut s’oublier pour l’autre ; être au service de son conjoint.

Michelle Labrèche-Larouche

La blessure…

« On passe notre vie à réparer nos blessures d’enfance. » C’est la première phrase du livre. Un homme important dans la vie de l’auteure n’a pas droit à un chapitre : son père. « Papa a souvent essayé de me faire des choses, des avances. Face à mon rejet, il est devenu très dur avec moi. Il m’a fait payer pour… »

Ses yeux bleus Méditerranée se voilent soudainement. Elle ne veut pas s’étendre sur les inconduites de son père, mort il y a plus de 50 ans. Malgré toutes ses années de thérapie, la blessure est encore là, elle l’habite. « C’est lourd à porter, cette blessure, dit-elle. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir dénoncé mon père. Je ne suis pas arrivée à lui pardonner. J’espère y arriver un jour… pour me libérer du passé, me débarrasser de la culpabilité. Car après le pardon, tu peux enfin passer à autre chose. »

Le courage des victimes

La porte est grande ouverte pour aborder le mouvement #moiaussi. Michelle Labrèche-Larouche admire le courage des femmes qui dénoncent publiquement des inconduites subies dans leur passé. « On dit qu’il y a des dérapages. Selon moi, ces dérapages sont de l’ordre de 1 %. C’est difficile de témoigner de ces choses-là, parce qu’une femme se sent toujours coupable. Elle a tendance à se remettre en question. Il faut être très convaincue pour dénoncer un prédateur. »

Selon elle, la réaction négative [face aux dénonciations] démontre que certains hommes s’estiment toujours « les maîtres du monde » : « Je sais fort bien que tous les hommes ne sont pas des prédateurs, des agresseurs. Or, la plupart d’entre eux ont été élevés comme des pachas. Ceux-là se croient tout permis. »

Fan d’Hubert Lenoir

On pourrait bavarder des heures avec cette femme qui attire les confidences, telle une vieille amie. Avant de partir, on lui demande en quoi consistera sa collaboration à Salut Bonjour. « Je vais parler de sujets “tabous”, comme le polyamour, le phénomène queer, la fluidité des genres. Par exemple, j’aimerais faire une chronique sur l’ambiguïté sexuelle d’Hubert Lenoir. »

La chroniqueuse est fascinée par ce chanteur androgyne qui ne fait pourtant pas l’unanimité dans les chaumières au Québec. « À mon âge, on ne juge plus. Par exemple, je hais Donald Trump à m’en lever la nuit ! Mais derrière le personnage, je vois le petit gars élevé par un père autoritaire qui n’a pas été aimé. Et puis, dans la vie, est-ce que ça existe, des vrais monstres ? On voit des criminels nazis qui aimaient et dorlotaient leurs enfants dans des documentaires sur la guerre. À mon sens, si tu es capable d’adorer des enfants, tu n’es pas totalement un monstre… »

Un autre bon sujet tabou à explorer à Salut Bonjour.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Les 40 hommes de ma vie — couchés sur le papier, de Michelle Labrèche-Larouche

Les 40 hommes de ma vie — couchés sur le papier, de Michelle Labrèche-Larouche. Éditions La Presse, 223 pages.