Il y a de nombreuses façons de témoigner et c’est par la littérature que plusieurs Françaises ont choisi d’aborder la question des agressions sexuelles dans la foulée du mouvement Me Too. Vanessa Springora avait ouvert le bal en janvier dernier avec Le consentement et cet automne, on compte au moins trois romans écrits par des femmes qui décrivent dans leur roman le mécanisme à l’œuvre. Outre Lola Lafon et son magnifique Chavirer, il y a Loulou Robert et son roman Zone grise. Et il y a l’actrice Isabelle Carré avec Du côté des Indiens.

L’histoire est celle de Ziad, petit garçon de 10 ans, inquiet de voir le couple formé par ses parents, Anne et Bernard, se défaire sous ses yeux. Il comprend très vite que son père entretient une relation avec une femme qui habite le même immeuble, quelques étages plus haut.

Il va supplier cette femme, Muriel, de laisser son père, ce qu’elle accepte. Elle va plus loin encore et prend le petit Ziad sous son aile, passe du temps avec lui, et l’invite à l’accompagner sur un plateau de tournage.

C’est le prétexte pour parler du monde du cinéma. Muriel est scripte, mais on apprend qu’elle a d’abord été actrice. Or, à l’âge de 20 ans, alors qu’elle tournait un film pour la première fois, Muriel a été agressée par un réalisateur qui a décidé unilatéralement qu’elle deviendrait sa maîtresse.

Isabelle Carré décrit avec beaucoup de délicatesse le mécanisme – qu’on commence à connaître – qui détruit une victime : stupéfaction, impuissance, déni, honte, culpabilité. La jeune femme ne s’en remet pas. Son corps réagit violemment, elle maigrit à vue d’œil, se décompose sous les yeux de son entourage.

Malheureusement, on quitte trop vite le personnage de Muriel pour revenir à ceux de Bernard et d’Anne. On découvre le passé qui unit ce couple, leur histoire. Le récit prend un drôle de virage et se termine de manière un peu dramatique, une finale qui nous a laissée perplexe. Il reste qu’il s’agit d’un roman qui compte si ce n’est que pour ce témoignage, un de plus, d’une actrice qui a été flouée et victime d’abus.

Ce livre, Isabelle Carré le portait en elle depuis un moment déjà. Dans ses remerciements, elle s’adresse à une journaliste de L’Obs qui l’avait contactée dans la foulée de l’affaire Weinstein afin de discuter de la situation des femmes dans le milieu du cinéma français. Isabelle Carré n’avait visiblement pas donné suite à cet appel. « Pardon à Doan Bui si ma réponse s’est fait attendre, écrit-elle. Deux ans c’est bien long…, mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour écrire ce livre. » Ça valait tout de même la peine d’attendre.

Du côté des Indiens
Isabelle Carré
Grasset
349 pages