Dans son quatrième roman, simplement intitulé L’avenir, Catherine Leroux conjugue avec brio écoanxiété et solidarité. Parce que le salut du monde sera nécessairement collectif, croit l’écrivaine qui déploie depuis 10 ans une œuvre aussi riche que signifiante.

Quand on lui demande si L’avenir est le livre d’une angoissée ou celui d’une optimiste, la réponse de Catherine Leroux fuse.

« C’est le livre d’une angoissée. Il rassemble toutes les questions qui dérivent de l’écoanxiété ambiante, du fait que j’ai mis des enfants au monde dans ce monde-là, des inquiétudes qu’ils ont à ce sujet. Mais tout le travail du roman a été de donner une réponse optimiste à ces questions très sombres. »

L’avenir est un roman sérieux et dense, qui a mûri en elle depuis la sortie de son précédent livre, Madame Victoria, il y a cinq ans. « Le germe était déjà là. C’est peut-être pour ça qu’il s’est complexifié, mais j’avais envie de ça », confirme Catherine Leroux, qui depuis La marche en forêt, son premier roman, publié en 2011, aime embrasser des univers vastes et complexes, peuplés d’une multitude de personnages.

« La différence, c’est que cette fois, j’avais envie d’une cohésion entre eux, plutôt qu’une multiplication d’histoires comme dans mes précédents livres. »

L’avenir est en fait une uchronie qui se déroule dans un Detroit inventé – devenu ici Fort Detroit –, où la population aurait continué à parler français bien après sa fondation par Cadillac, en 1701. Mais il est aussi directement inspiré du Detroit d’aujourd’hui.

« J’ai vu des documentaires comme Detroit, ville sauvage de Laurent Tillon. J’y suis allée aussi. Cette métaphore est presque trop belle pour être vrai : Detroit, c’est la ville des chars, qui a permis la conquête de l’Amérique par l’automobile, et la pollution qui en résulte. Et là, Detroit est laissée à elle-même, elle est en train de couler, et ce que les gens font, c’est qu’ils reprennent ces terrains et les transforment en quelque chose qui peut donner de la nourriture, au propre comme au figuré. »

Entraide

À la base de L’avenir il y a Gloria, qui vient d’arriver à Fort Detroit. Installée dans la maison de sa fille Judith, laissée à l’abandon après sa mort, elle tente de comprendre ce qui s’est passé, mais surtout de retrouver ses deux petites-filles, qui se sont évanouies dans la nature. Peu à peu, Gloria découvre autour d’elle une communauté de voisins qui s’entraident, se protègent et se soutiennent malgré le désastre écologique et social.

Pour moi, ce qui se passe à Detroit, c’est la preuve que ça se peut, cette résilience, cet optimisme. Ce n’est pas juste une posture que j’ai prise pour me rassurer : le fait est que, mis dans la dèche, l’être humain retourne à des solutions très simples et concrètes. Et porteuses de vie.

Catherine Leroux

Bref, Catherine Leroux croit que l’être humain est né pour s’entraider et non pour dominer son prochain, et c’est la base de ce livre qui pourrait être une sorte d’antithèse à The Road (La route) de Cormack McCarthy. « J’ai peut-être gardé de The Road l’idée de la persistance de l’amour et de la compassion. Sinon, la communauté y est déconstruite, c’est sûr. »

C’est aussi un genre de réponse au classique Lord of the Flies de William Golding, puisque dans le bois à l’orée de la communauté de voisins vit une cohorte d’enfants qui ont fui la violence de la ville.

« Moi, je postule que des enfants laissés à eux-mêmes ne seront peut-être pas des anges, mais que fondamentalement ils vont prendre soin les uns des autres. La coopération est autant la base de l’humanité, sinon plus, que la compétition. C’est le grand paradigme qui domine notre monde : on tient pour acquis que tout le monde peut se débrouiller tout seul, alors que tout seul, on crève, tsé. »

Bienveillance

Catherine Leroux a mis beaucoup d’elle dans ce livre où la question du legs est omniprésente – ce n’est pas pour rien que les enfants sont au cœur de son récit, son premier depuis qu’elle a vécu la « révolution absolue » de devenir parent.

C’est un peu la base du livre, le besoin pour les enfants de reprendre le contrôle sur un monde qui ne fait rien pour eux, sur une société qui mange leurs ressources et qui dévore leur avenir.

Catherine Leroux

Mais ils ne peuvent le faire seuls ni porter le poids des choix des générations précédentes. « C’est tellement injuste qu’ils grandissent avec cette culpabilité immense. Ce n’est pas leur faute ! »

D’ailleurs, dans L’avenir, le monde des adultes et celui des enfants finissent par se rencontrer, dans une dernière partie profondément émouvante même si les enfants gardent un côté radical et vindicatif.

Mais c’est le mot bienveillance qui peut le mieux décrire son livre, en fin de compte. Et elle l’assume complètement.

« C’est un mot que j’affectionne depuis quelques années. Il est à la mode, mais je l’aime quand même. Je me suis demandé si j’étais jovialiste par rapport à mes personnages. Mais j’avais envie de m’entourer de personnages bienveillants. »

Profondeur

Au sommet de son art, dans une langue profonde et foisonnante ponctuée de dialogues écrits dans un joual inventé, Catherine Leroux nous donne aussi à voir un monde où la nature fleurit malgré tout, où les légendes prennent vie et où le réalisme magique règne.

« Ce sont deux rapports à la langue différents, et je les chéris tous les deux. »

Catherine Leroux est arrivée dans le monde littéraire avec « peu d’attentes », mais des espoirs. « Je ne savais pas ce qui était possible, je ne savais pas si j’avais ma place. » Dix ans plus tard, L’avenir est un des romans attendus de la rentrée, et elle est fière du chemin parcouru, mais une chose demeure : pour elle, être publiée et lue reste un immense privilège, et elle entend s’en servir à bon escient.

« Je ne sais pas si c’est ma formation en philo qui fait ça, ou si je suis allée en philo parce que j’avais cette tendance, mais je suis du genre, face à un problème, à creuser pour en comprendre les racines. »

Elle n’est pas contre la légèreté – il y a un peu d’humour dans L’avenir –, mais préfère parler des « vraies affaires » et des questionnements qui la tiennent éveillée la nuit. Tout en prenant le parti-pris de la beauté, plutôt que de mettre en scène une horde de survivalistes qui se cannibalisent entre eux. Elle sourit.

« Ce qui ne veut pas dire que ces hypothèses ne tiennent pas la route ! s’amuse-t-elle. Mais je crois qu’il y a du bon dans l’être humain, qu’on n’est pas tous des “freaks” qui veulent s’armer jusqu’aux dents, et qu’ultimement, ce ne sont pas ces gens qui vont survivre. En tout cas, c’est ce que je veux croire. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

L’avenir, de Catherine Leroux, Alto, 317 pages

L’avenir
Catherine Leroux
Alto
317 pages