Quand on aime, on ne compte pas – pas même le nombre de récits concoctés par la Belge profilico-atypique, qui signe avec Les aérostats son 29e roman.

Celle qui trouve encore le moyen de nous dérouter avec une histoire intrigante et polymorphe met en scène Ange et Pie, respectivement étudiante en philologie et adolescent dyslexique d’une famille richissime détraquée. La première est engagée pour soigner les tares lectorales du second, sous la surveillance inquisitrice du père de Pie. La jeune femme appliquera sa propre méthode pour initier aux lettres cet ado oppressé, constatant finalement sa capacité à la lire tel un livre ouvert, alors même qu’Ange se trouve confrontée à ses propres démons.

Une écriture légère…

Fidèle à son style, Amélie Nothomb ne s’embarrasse pas de formulations alambiquées, de digressions touffues, de galeries de personnages tentaculaires. Sans même rentrer dans le texte, la simple mise en page nous annonce un livre digeste, aux chapitres succincts et avenants. Les aérostats respire le récit bien aéré, qui se lit comme une partition d’Erik Satie. Mais ce dépouillement apparent, contrairement aux manœuvres de certains auteurs tablant sur la simplicité sans substance à des fins commerciales, se trouve être la clé d’une concentration littéraire terriblement efficace.

…au service d’une profondeur littéraire

Au moyen de quelques lignes bien tendues, l’autrice ficelle des relations entre des profils psychologiques dissonants, faisant émerger un concert de remises en question. Ainsi, Ange se trouve-t-elle exposée à des approches d’œuvres classiques inédites, alors que Pie s’engage dans une émancipation intellectuelle, familiale et sociale salvatrice. Mais rien à voir avec l’histoire mièvre d’une enseignante initiant son élève aux plaisirs de la lecture ; une myriade d’enjeux émanent de ces relations, allant des crises de mutation au gré des paliers de la vie à la tyrannie familiale et scolaire, ainsi qu’à celui de l’argent — auquel Ange n’échappera pas.

Un hommage original à la littérature

Mais c’est surtout la relecture des personnages à la lumière des ouvrages soumis par Ange à son protégé qui cimente le court roman. L’interprétation des écrits d’Homère, de Kafka ou de Stendhal apportent un nouvel éclairage sur les protagonistes et leurs relations ; Pie, encore incapable de lire quelques jours auparavant, dévore par exemple L’Iliade, en en tirant de curieuses critiques. Les romans classiques deviennent dès lors autant de moyens de communication subliminaux.

Des personnages atypiques

Elle-même figure excentrique, Amélie Nothomb nous charme, encore une fois, avec son univers décalé et ses personnages intrigants. Ici, Ange, qui se croyait anonyme à l’université, découvre qu’elle y est conspuée et qu’un professeur quinquagénaire la lorgne. Quand elle n’est pas sur les bancs de l’école, elle retrouve sa colocataire maladivement maniaque. Quant à la famille de Pie, c’est le pompon : le fils se dit passionné par les armes, les mathématiques et… les désuets aérostats ; la mère, écervelée, établit des collections virtuelles et le père, odieux malgré son désir d’aider son fils, ne jure que par l’argent et le contrôle. Autant de protagonistes étranges, mais ancrés dans des épisodes de vie nous semblant terriblement familiers. Bref, rien de tel qu’un aérostat pour prendre de la hauteur en toute légèreté…

★★★★

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Les aérostats, Amélie Nothomb, Albin Michel, 180 pages