Le comédien James Hyndman a lancé cette semaine Une vie d’adulte, son deuxième livre en deux ans. Nous avons discuté avec lui d’écriture, de grande littérature et de la difficile conquête de la liberté.

Après avoir tant parlé de littérature dans votre carrière, on dirait que le moment était venu pour vous d’écrire ?

J’écris depuis toujours, presque tous les jours. Je tiens un journal, et pour pouvoir penser, il faut que j’écrive : quand je prépare des lectures publiques ou pour mes rôles, j’écris tout ce qui me passe par la tête. Une vie d’adulte, c’est des bribes de mes journaux intimes, et j’ai commencé à les travailler pour en faire plus il y a déjà un bout de temps. Entre-temps me sont venus les soliloques d’Océan, publiés il y a deux ans, et j’en ai un troisième qui est presque prêt. Je ne dirais pas que mon tour est venu. Mais après avoir mis ma voix ou mon corps au service des autres pendant toute ma vie, plus je vieillis, plus je sens le besoin de profiter du temps qui me reste pour entendre ma propre voix et essayer d’en faire quelque chose. Pas par volontarisme : ça vient tout seul, comme la mise en scène du Bergman ou le scénario de film que je suis en train d’écrire. Je me suis mis en disponibilité, alors je suis obligé de faire beaucoup de place pour tout ça, et un peu moins pour les voix des autres.

Toutes ces références littéraires que vous avez, elles aident à écrire ou c’est bloquant ?

Dans ma jeunesse, c’était écrasant, c’est sûr. Mais je n’étais pas mûr non plus : j’ai commencé à écrire quand la nécessité s’est imposée vraiment à moi. C’est paradoxal, avoir autant fréquenté les très grands écrivains, autant pour mon plaisir personnel que dans les lectures publiques, m’a en même temps libéré. J’ai compris une fois pour toutes que je ne serais jamais un grand écrivain. Je travaille à partir de ce que je suis, avec les moyens que j’ai. Je n’essaie pas de péter plus haut que le trou quand j’écris, mais je travaille beaucoup pour que ce soit concis, limpide, qu’il y ait un rythme. On est loin du premier jet, par contre j’ai conscience que je suis un auteur qui écrit en mode mineur. Je ne me mesure pas aux grands, je n’ai aucune prétention de ce côté-là. Ce qui ne m’empêche pas de trouver un grand plaisir à écrire, à sonder, à creuser.

Une vie d’adulte est fait d’extraits de vos journaux intimes que vous avez retravaillés. Quelle est la part de vrai et de faux ?

Tout est subjectif, car ce sont des morceaux choisis. Il y a 27 chapitres, qui vont de 3 lignes à 10 pages. Je les vois un peu comme des petites fenêtres, qui sont entrouvertes. Mis bout à bout, ces 27 chapitres essaient de parler de la nécessité des mots pour pouvoir se construire, de la recherche d’une espèce de vérité, d’authenticité. J’ai été à côté de mes pompes pendant longtemps, très anxieux, mais je ne voulais pas faire une autobiographie ou un témoignage, plutôt un objet littéraire qui trace le portrait d’un chemin vers soi, en espérant que ça puisse sonner des cloches chez un lecteur. Le choix des chapitres a un côté un peu aléatoire, en même temps j’ai laissé aller des choses, il y a des fils que j’ai essayé de débobiner qui ne fonctionnaient pas. Mais relater simplement la vérité textuelle de ce qui s’est passé n’est pas intéressant, alors il y a des choses inventées de toutes pièces ou presque, des détails, des chronologies un peu tordues, tout ça est aménagé et réaménagé, mais pour pouvoir dire quelque chose de vrai de moi, le plus vrai dont je suis capable.

Est-ce que la conclusion de ce livre serait qu’il est difficile de vivre ?

Je pense que oui. Pas pour tracer un portrait sombre, la vie n’est pas qu’une agonie. Mais oui, c’est difficile pour beaucoup de gens, pour plein de raisons qu’on sait, économiques, la maladie, la violence conjugale, les relations difficiles. Et surtout le rapport à soi. Plein de gens passent leur vie à passer à côté d’eux-mêmes. Oui, vivre est difficile, quand on choisit de vouloir s’affranchir pour être libre. C’est un travail, un combat pour y arriver, ce n’est pas donné. On naît dans un milieu familial, précédé de générations, et on est façonné par ça. Pour être libre, il faut voir au-delà de ce qu’on a reçu en héritage, prendre le meilleur, mais aussi s’en affranchir. C’est toute une crisse de job ! Ensuite, il faut s’affranchir de la société, de ses conditions, pour en arriver à être un homme ou une femme, arriver à son essence profonde, être capable de ressentir tout ce qui passe, le bon comme le mauvais, être capable de penser de façon autonome et libre, et devenir un être libre. Je n’en connais pas beaucoup des gens comme ça.

Vous avez l’impression de vous être affranchi de votre histoire ?

De plus en plus. Ce chemin de la conquête de la liberté de soi, ce n’est pas quelque chose qui est fait une fois pour toutes. C’est à faire et à refaire chaque jour de sa vie. Je n’ai pas l’impression d’être arrivé, mais j’ai fait un bon bout de chemin vers plus d’amour, de pardon, pour être beaucoup plus proche de l’homme que je suis vraiment.

Quelle vie souhaitez-vous à votre livre ?

Quand j’ai écrit Océan, je n’avais aucune idée si ça méritait d’être publié. C’est mon éditeur Tristan Malavoy qui l’a fait passer du côté public. Et le livre a raisonné très fort ; j’ai pu mesurer quand j’ai fait des lectures publiques avec Évelyne de la Chenelière à quel point il avait eu une réception profonde et chaleureuse. Pour un premier livre, il a eu une joyeuse sortie, mais en même temps, après six mois, plus personne n’en parle. Alors si je peux peut-être souhaiter quelque chose à celui-là, comme tous les artistes, c’est qu’il ne sombre pas complètement dans l’oubli, qu’il laisse un peu de traces et se dépose dans le cœur des gens qui vont le lire.

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Une vie d’adulte, James Hyndman, Quai no 5, 160 pages

Une vie d’adulte, James Hyndman, Quai no 5, 160 pages