Avec Personne ne meurt, son deuxième roman après Moitié vrai (2015), Ariane Cordeau propose une réflexion intéressante et sensible sur les lignes de vie qui nous traversent et qui, peut-être, dans un autre espace-temps, forment les trajectoires de nos vies parallèles.

Journaliste à Radio-Canada, son personnage principal, Béatrice, est soudainement aux prises avec d’étranges visions : celles de son mari, heureux avec une autre femme, une autre famille, d’autres enfants que les leurs; celles de sa sœur en artiste bohème en voyage au Mexique alors que, dans sa « vraie » vie, elle est médecin à New York, à des lieues de tout cela. Que signifient ces étranges visions ? Est-elle en train de perdre la boule ?

Alors que Béa tente vainement d’élucider ce qui se passe en elle en consultant des psychologues, des experts et même un prétendu médium, elle voit sa cellule familiale se désagréger lentement alors que la société québécoise plonge dans une crise sociale. On la suit parallèlement en train de couvrir pour son travail un sujet chaud : le projet d’oléoduc Énergie-Est, qui fait face à de vives protestations et opère un clivage de plus en plus radical entre tenants et opposants. Aux États-Unis, Obama a imposé un veto au projet Keystone XL et tout indique que celle qui lui succédera sans doute à la tête du pays, Hillary Clinton, continuera sur cette lancée, obligeant le Canada et Justin Trudeau à donner à un moment donné leur aval au projet. Donald Trump ? Il a été assassiné bien avant d’avoir jamais eu la chance de se présenter à la présidence des États-Unis, dans cette uchronie habile imaginée par la romancière.

Habile, car Cordeau joue sur plusieurs tableaux, effectue certains retours dans le passé, raconte des anecdotes et relate des faits qui, à première vue, n’ont pas nécessairement de liens clairs entre eux, tout en plantant une galerie de personnages bien dessinés qui gravitent autour de Béa. À mi-chemin, on se demande même pourquoi l’histoire d’Énergie-Est prend autant de place dans le récit, un peu ennuyé par les longues explications un peu didactiques autour du sujet, qui semblent ralentir la progression de l’histoire. Mais le chemin qu’elle nous fait emprunter vaut le détour, car, dans une chute bien orchestrée qui nous tient en haleine, tous les fils finiront par s’attacher les uns aux autres. On apprécie la toute fin, de toute évidence ajoutée en pleine crise de la COVID-19, qui vient boucler la boucle de belle façon.