Il n’y aura pas de saison tranquille cette année dans le monde des livres. Entre les titres du printemps retardés pour cause de pandémie et les sorties de l’été, ça se bouscule sur les rayons des librairies. Que lirons-nous sur le balcon, au parc ou en camping ? Nous vous proposons une sélection des incontournables de la saison.

Yeux d’enfants : La robe sans corps, de Claire Hélie

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La robe sans corps

Claire Hélie signe ici un premier roman charmant, aux allures de conte, avec La robe sans corps. L’autrice, originaire de Chicoutimi, y campe l’action. On est en 1963, à Chicoutimi, et on y suit les pérégrinations et réflexions sur la vie de la P’tite et de sa meilleure amie, la Grande. Alors que la Révolution tranquille entame sa lente marche, le quotidien de ses habitants est encore ponctué par la messe, le passage de l’abbé pour la dîme et l’égrenage des chapelets. Mais la P’tite, elle, a l’aventure dans le sang et une curiosité dévorante. Au contact du Vieux, un sculpteur, elle verra son monde s’ouvrir et aura envie de délaisser les rituels religieux pour ceux, païens, de l’art et de la création. Véritable ode au pouvoir de l’art, La robe sans corps touche à la magie de l’enfance et aux possibles qu’ouvre l’inventivité.

La robe sans corps, Claire Hélie, Les Herbes Rouges, 158 pages.

Aux frontières du réel : Personne ne meurt, d’Ariane Cordeau

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Personne ne meurt

Après Moitié vrai, son premier roman paru en 2015, Ariane Cordeau nous revient avec Personne ne meurt, une uchronie qui s’interroge sur les limites du réel, les multiples chemins qui mènent du passé au futur, les fictions qui deviennent tangibles. L’héroïne du roman, Béa, journaliste à Radio-Canada, est assaillie du jour au lendemain par d’étranges visions de son conjoint, Nicolas, avec une autre femme, blonde. En voulant découvrir si tout cela n’est que le fruit de son imagination, elle ouvre une boîte de Pandore, alors que les contours de la réalité se font de plus en plus flous, miroitants. Où commence le réel et où finit-il ? Les vies parallèles existent-elles vraiment, et que disent-elles sur nous ? Voilà un roman intrigant dans lequel on embarque rapidement, captivé, et qui évoque l’ici pour mieux nous amener ailleurs, entre deux mondes.

Personne ne meurt, Ariane Cordeau, Leméac, 344 pages.

C’est ça, la vie ? : Nos espérances, d’Anna Hope

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Nos espérances

La Britannique Anna Hope s’est fait connaître comme actrice dans la série Doctor Who, mais c’est aussi une écrivaine de talent. Elle signe ici son troisième roman et son plus personnel. On devine que l’histoire de Cate, Lissa et Hannah, trois copines qui ont 20 ans dans les années 90, c’est un peu la sienne. Entre les rêves de ces trois jeunes femmes blanches issues de la classe moyenne et la réalité, il y a un monde que l’autrice explore avec sensibilité. Ça pourrait être classé dans la catégorie chick lit, mais c’est plus que cela. Outre la qualité littéraire, il y a une réelle réflexion sur les aspirations des femmes de cette génération, coincée entre les féministes de la deuxième vague et les revendications sociétales des Y et des Z.

Nos espérances, Anna Hope, Gallimard, 368 pages.

Pour en finir avec le Brexit : Le cafard, de Ian McEwan

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Le cafard

Y a-t-il plus répugnant qu’un cafard ? C’est l’insecte qu’a choisi Ian McEwan qui, en clin d’œil à Kafka, imagine l’insecte se métamorphoser en… premier ministre britannique. La coquerelle, c’est donc un peu Theresa May puis Boris Johnson, deux politiciens qui portent l’infâme dossier du Brexit sur leurs épaules, parfois au prix de leur carrière politique. On l’aura compris, le grand écrivain, comme son compatriote Jonathan Coe, est viscéralement opposé au Brexit, qu’il tourne en dérision dans cette satire souvent hilarante. D’un point de vue britannique, toutefois, ce court roman visiblement écrit sous l’emprise de la colère a parfois été perçu comme élitiste et son auteur, accusé de mépriser la volonté de la moitié de la population. À lire avec un esprit critique, donc, et aussi pour l’humour british.

Le cafard, Ian McEwan, Gallimard, 160 pages.

Prendre racine : Boîtes d’allumettes, de Martina Chumova

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Boîtes d’allumettes

Mieux comprendre d’où on vient avant de prendre soi-même racine. C’est un peu la quête de la narratrice. À la recherche d’un appartement en pleine crise du logement, cette Montréalaise d’adoption remonte le fil de ses souvenirs, pour retrouver son héritage. Fille d’immigrants ayant fui l’Europe de l’Est, ses recherches la mènent à Prague puis en Allemagne, sur la trace de ses parents, de ses grands-parents, de ses origines. Un roman à l’écriture fine qui parle de choses graves et qui distille tristesse et nostalgie. L’autrice y parle d’identité, bien sûr, mais aussi de littérature, du couple, de la famille, de ce qui compte et de ce qu’il vaut mieux laisser derrière.

Boîtes d’allumettes, Martina Chumova, Cheval d’août, 128 pages.

Les leçons de l’histoire : Augustus, de John Williams

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Augustus

Rien de mieux que de retourner aux sources de la politique pour mieux comprendre notre époque. On réédite donc ce roman de John Williams qui a mérité le National Book Award lors de sa parution en 1972, et qui a été publié une première fois en français l’an dernier chez Piranha. L’auteur a imaginé une correspondance entre Marcus Agrippa (proche conseiller du premier empereur romain, Auguste) et la fille biologique de ce dernier, Julia. Cet échange épistolaire est entrecoupé d’extraits des journaux intimes du couple qui règne pendant un certain temps sur Rome. Tous les ingrédients d’une bonne intrigue — jalousie, complots, trahisons — s’y retrouvent. Au final, c’est le portrait d’une époque charnière de l’histoire que nous propose John Williams dans ce roman captivant.

Augustus, John Williams, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jessica Shapiro, Tête première, 305 pages.

Espionne en 1915 : Le réseau Alice, de Kate Quinn

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Le réseau Alice

Elle bégaie, sauf quand elle parle français. Elle s’arrête devant les affiches de recrutement de l’armée, rêvant d’en découdre avec les soldats du Kaiser. Mais Eve Gardiner est une femme. Et en 1915, les femmes ne vont pas au front. La romancière américaine Kate Quinn, auteure de romans historiques grand public avec héroïnes féminines, exploite un terreau inédit avec son intrigue centrée sur le nord de la France durant la Première Guerre mondiale. Les espionnes, la France occupée par les nazis, on connaît. Mais on connaît moins le rôle des femmes durant la Grande Guerre. Une péripétie se déroulant 30 ans après, alors que la Seconde Guerre mondiale vient de se terminer, mais que l’Europe est en ruine. Une trahison épique complète le portrait. Rafraîchissant.

Le réseau Alice, de Kate Quinn, Hauteville, 670 pages.

La vraie nature : La jalousie est un vilain défaut, d’Hugo Léger

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La jalousie est un vilain défaut

Quand un journaliste désabusé doit écrire la biographie d’une jeune actrice en vogue, la rencontre peut être la source de plus de péripéties qu’on pense. Dans un jeu de miroirs bien construit, l’ex-journaliste et publicitaire Hugo Léger, maintenant écrivain (Le silence du banlieusard, Télésérie), raconte le travail de Philippe pour découvrir la vraie personne derrière la star d’Hollywood Laurence Stewart, née Laurence Charier, et les liens parfois troubles qui l’unissent à sa sœur aînée Chloé. La quête (et la dérive) personnelle de l’homme de 49 ans est entrecoupée des chapitres de la biographie qu’il est en train d’écrire, mais la vérité, la sienne comme celle de son sujet, n’est pas toujours là ou l’on pense. Malgré une prémisse plus ou moins crédible — cette rencontre improbable est vraiment improbable —, ce roman qui porte sur ce lien aussi fort qu’imparfait unissant les frères et sœurs, aux touches d’humour acéré et aux dialogues vifs, est mené avec doigté et intelligence, tellement qu’on se laisse prendre jusqu’à la fin par ce jeu de chat et de souris plein de secrets et de non-dits qu’on a bien envie de découvrir nous aussi.

La jalousie est un vilain défaut, Hugo Léger, XYZ, 262 pages