Rentrer son ventre et sourire. C’est l’excellent titre du premier roman de Laurence Beaudoin-Masse, qui porte sur l’univers d’une influenceuse. Libérée temporairement d’une partie de cette double injonction — elle est (très) enceinte —, la conceptrice-rédactrice à Rad continue néanmoins de réfléchir à ce qu’on exige des jeunes femmes. La Presse l’a rencontrée à Montréal.

« Laurence Beaudoin-Masse consacre son adolescence à jalouser les filles de l’équipe de volleyball », dit votre biographie diffusée par Éditions La Bagnole. C’est vrai ?

Oui. Au secondaire, je n’ai jamais été dans les filles cool. Ça n’a jamais été facile pour moi. Ce n’est pas un beau côté de ma personnalité, mais c’est vrai que j’étais envieuse des autres. Les filles du volleyball, la vie avait l’air facile pour elles ! Alors que c’est sûr que non…

Votre héroïne, Élie, 25 ans, est influenceuse. Les influenceurs vous… influencent ?

Absolument ! Je suis fascinée par les influenceurs. J’aime les suivre ; j’ai un regard à la fois tendre et critique sur eux. Strictement du point de vue de la fiction, c’est passionnant. Quand tu penses à un fil Instagram, c’est lisse, c’est beau, toutes les images sont travaillées. Je me dis : qu’est-ce qu’il y a derrière ça ? Il peut juste y avoir la vraie vie. Ça ressemble à quoi ? C’est la prémisse du roman. J’ai aussi fait des recherches pour comprendre comment l’industrie de l’influence fonctionne. Cela dit, je ne prétends pas que c’est un documentaire. Je suis partie d’un personnage, Élie, qui est prise dans le paraître.

Élie en vient à se demander s’il est possible de ne pas être faux sur les réseaux sociaux. C’est une question qu’on doit se poser ?

Oui. Ces images-là sont faites pour nous faire rêver, pour qu’on se projette dedans. Rationnellement, notre cerveau est capable de dire : « C’est une mise en scène, ce n’est pas vrai. » Mais une partie plus émotive de nous veut croire que c’est possible d’aimer comme ça, de bien manger comme ça, d’être heureux comme ça. Que la vie pourrait être comme ça.

Il y a un énorme narcissisme dans cette supposée quête de bonheur, qui demande de s’occuper de soi à temps plein ?

Élie a envie de plaire. Beaucoup de filles ne se sentent jamais à la hauteur. Ce n’est pas parce qu’elles s’aiment énormément. Au contraire, c’est parce qu’elles ont tellement de misère à s’aimer qu’elles essaient de répondre aux attentes de tout le monde. C’est le piège dans lequel Élie est prise.

Élie dit : « Moi, les instagrameuses super minces style #legdayeveryday qui se disent #bodypositive, je les trouve hypocrites as fuck. » C’est une question intéressante : quelqu’un qui correspond aux normes de beauté peut-il faire la promotion de l’acceptation de tous les corps ?

L’idée de cette phrase, qui est provocante, c’est de lancer une réflexion. Je ne prétends pas avoir la réponse. Je me considère féministe et je suis pour l’acceptation de tous les types de corps. Sauf que c’est vrai que je ressens beaucoup de pression pour que mon corps ait l’air d’une idée qu’on se fait de la beauté.

Ça part d’une autre réflexion : étant jeune, j’ai ressenti beaucoup de pression pour être mince. Qui venait de mon entourage, de ma famille. Ma mère, qui me mettait par exemple cette pression, en a reçu beaucoup de sa mère à elle. J’ai eu cette discussion avec elle. Je me demande : quand est-ce que ça arrête ? On peut blâmer les influenceurs, les médias, l’industrie de la mode. Mais on a quand même, jusqu’à un certain point, la responsabilité d’y mettre fin, dans notre vie à nous.

Une cosméticienne de pharmacie recommande à Élie d’écouter sa petite voix intérieure. C’est un conseil à retenir ?

Oui. Élie est tellement dans le regard des autres qu’elle a perdu de vue ce qu’elle voulait. Elle doit se demander : « Qui je suis, moi, vraiment ? Qu’est-ce que je veux ?  » Mais c’est dur, c’est dur !

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Rentrer son ventre et sourire, texte de Laurence Beaudoin-Masse, collection Jeune adulte, Éditions La Bagnole

Prise dans l’illusion

Élie compte 500 000 abonnés à sa chaîne YouTube, Quinoa Forever. Après avoir changé de mode de vie et perdu beaucoup de poids, elle l’a lancée pour inspirer les filles autour d’elle à devenir « la meilleure version d’elles-mêmes », précise-t-elle. Peu à peu, Élie se demande s’il est possible de ne pas être « fake » sur les réseaux sociaux. Bien que longuet, ce roman aborde des sujets hautement pertinents — la tyrannie de l’image et l’hypocrisie des réseaux sociaux —, en faisant découvrir une héroïne attachante. À faire lire aux grands ados.

Rentrer son ventre et sourire. Texte de Laurence Beaudoin-Masse. Collection Jeune adulte. Éditions La Bagnole. Dès 15 ans.

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Quand on aime la mauvaise personne, difficile de trouver la bonne, d’Edith Chouinard, collection Jeune adulte, Éditions La Bagnole.

Nouvelle collection Jeune adulte

La Bagnole a lancé ce printemps une nouvelle collection pour les 15 à 25 ans, Jeune adulte. « C’est une tranche d’âge que nos livres ne rejoignaient pas, explique Sarah Degonse, attachée de presse des Éditions La Bagnole. C’est une collection pour les jeunes qui ont tripé sur les livres d’ados et qui aimeraient retrouver ce genre de lectures, mais pour leur âge. » Quand on aime la mauvaise personne, difficile de trouver la bonne, d’Edith Chouinard, et Rentrer son ventre et sourire, de Laurence Beaudoin-Masse, sont les deux premiers titres de la collection.

Quand on aime la mauvaise personne, difficile de trouver la bonne. Edith Chouinard. Collection Jeune adulte. Éditions La Bagnole.