Il y a une telle douceur et un ravissement qui touchent à la fois à la naïveté de l’enfance et à la nostalgie de l’adulte qui se la remémore dans ce magnifique recueil de poésie signé Kristina Gauthier-Landry.

Originaire de Natashquan sur la Côte-Nord, elle nous y fait voyager à travers une série de petits poèmes instantanés qui se seraient fixés sur la rétine comme un soleil fixé trop longtemps, laissant des traces qui accompagnent le regard où qu’il se pose. Au fil des pages qu’on parcourt comme un roadtrip poétique, émerge un sentiment de nostalgie qui flotte et enveloppe, dans l’œil de celui qui regarde le temps passé qui décolore lentement les souvenirs comme « les photos javel / qui t’efface en boucle ».

Signant ici son premier recueil, Gauthier-Landry, qui a remporté en 2019 le prix Geneviève-Amyot pour sa suite poétique tes choses sauvages, sait manier avec doigté et une simplicité désarmante images et métaphores, crée des alliages étonnants qui donnent vie aux choses et à la matière, alors que l’homme, lui, s’unit à l’immensité de la nature et en prend les caractéristiques. « ce matin / tu reviens/comme le capelan tes yeux trempes/roulés dans les miens / tes épaules cadre de porte / me frétillent ». Mariant l’anecdotique au poétique, elle égrène la liste de bonheurs simples (« un sac de chips / un crush aux fraises / un tour de char / au dépanneur »), comme autant de bijoux précieux sur ce « territoire qui force la patience ». Elle y frôle au passage les rêves impossibles et doux portés par la marée et l’air du large, mais évoque aussi la solitude et l’enfermement de ce coin de pays du bout du monde.

Ce recueil est une volonté de faire jaillir la parole faite femme, de renouer cette relation intime entre la féminité et le territoire, comme on le comprend dans l’incipit du recueil : « retourner au début / rebrousser les entrailles / pour qu’un jour bien droites / telles des épinettes nous puissions dire / c’est ici que nous sommes nées ». L’autrice trace avec ses poèmes ce chemin à l’envers, ce retour à la source, et tente de saisir la promesse que tend l’espace sauvage (« cueillir l’air mouillé / du pays vert / puis émerge l’évidence / nous sommes venues de la mer »). Et, enfin, y prendre racine.

Une bouffée d’air frais poétique qui fait grand bien en ces temps teintés de couleurs moroses.

Et arrivées au bout nous prendrons racine
Kristina Gauthier-Landry
La Peuplade
128 pages
★★★½