Première victime économique liée à la COVID-19 dans le milieu des livres, la librairie Olivieri ferme ses portes définitivement après 35 ans d’existence.

La nouvelle a été annoncée mardi matin par le Groupe Renaud-Bray, qui avait fait l’acquisition de la petite librairie indépendante en 2016. La librairie « succombait » alors sous le poids des travaux sur le chemin de la Côte-des-Neiges.

La librairie et le bistro fondés par Rina Olivieri et Yvon Lachance, qui a d’abord fermé temporairement le 20 mars dernier, mettent la clé sous la porte pour de bon après 35 ans de loyaux services. Une triste nouvelle pour les habitués de ce lieu unique en son genre, qui aura été, comme l’a souligné sa propriétaire, « au cœur de la vie culturelle de Montréal ».

Des centaines de messages de remerciements ont été publiés sur la page Facebook de Rina Olivieri par des parents, des amis et des auteurs.

Ironie du sort, l’annonce de la fermeture d’Olivieri survient le jour même où le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a présenté son plan de réouverture graduelle des entreprises et des commerces.

La ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, l’a confirmé sur Twitter : les librairies avec entrée extérieure pourront rouvrir à partir du 4 et du 11 mai (hors de Montréal, puis dans la métropole), dans la mesure où elles sont aptes à suivre les indications de la CNESST.

Pour Olivieri, c’est apparemment trop peu, trop tard.

Et selon le Groupe Renaud-Bray, l’autorisation de réouverture n’est pas synonyme de sortie de crise. « La marge de profit d’un libraire oscille entre 1 et 1,5 %, ce qui en fait un acteur particulièrement vulnérable dans la chaîne du livre », a fait savoir le Groupe par communiqué. « À ce jour, le gouvernement propose des prêts devant être remboursés, ce qui ne constitue pas une réelle solution pour les détaillants québécois. Avec 40 % des ventes de livres au détail dans tout le Québec, on pourrait penser que Renaud-Bray n’a rien à craindre de la crise actuelle, mais sans aide gouvernementale additionnelle à l’industrie québécoise du livre, Olivieri pourrait ne pas être la seule victime de cette crise. »

Le PDG du Groupe Renaud-Bray, Blaise Renaud, propriétaire de 50 librairies au Québec (35 Renaud-Bray et 15 Archambault), avait déjà exprimé ses craintes au début du mois. Il a dû mettre à pied 1250 de ses 1500 employés.

> Relisez l'article Renaud-Bray craint pour sa survie

Renaud-Bray et l’Association des librairies, qui représente 170 librairies indépendantes, demandaient entre autres au gouvernement du Québec de garantir l’ensemble des livres invendus – une garantie évaluée à 60 millions de dollars. Selon nos informations, le Groupe Renaud-Bray n’a toujours pas reçu de réponse du ministère de la Culture par rapport à cette demande.

Une tempête parfaite

Sur sa page Facebook, la cofondatrice d’Olivieri, Rina Olivieri, a parlé d’une tempête parfaite pour expliquer la fermeture de la librairie du quartier Côte-des-Neiges.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Rina Olivieri, cofondatrice de la librairie Olivieri, en 2017

« À la pandémie actuelle et au confinement s’ajoute pour nous la perspective de travaux majeurs à Côte-des-Neiges. Nous avons déjà par le passé navigué en terrain hostile, mais cette fois-ci, avouons-le, c’en est une de trop. La construction de nouveaux condos à l’emplacement du [restaurant] St-Hubert se traduira par une diminution de l’achalandage et affectera gravement les activités de la librairie et du bistro. Les opérations de ce dernier en seront particulièrement affectées. »

Impossible d’ouvrir une terrasse, dont tous auraient si besoin cet été, dans le bruit et la poussière. Et impossible de relancer Olivieri dans un contexte de distanciation sociale, sans événements et sans bistro.

Rina Olivieri, sur sa page Facebook

Entre soulagement et inquiétude

Pour d’autres librairies indépendantes, qui ont survécu à la tempête, l’annonce de leur réouverture prochaine a entraîné un long soupir de soulagement.

Martin Granger, copropriétaire des trois librairies Raffin, a dû mettre à pied 50 employés à la fin du mois de mars. Il se réjouit de l’annonce de Québec. « C’est une belle journée pour nous autres, aujourd’hui », a-t-il laissé tomber mardi. Son réseau de librairies, qui sert notamment les bibliothèques, a perdu 70 % de son chiffre d’affaires depuis le début de la crise. Il était temps qu’un plan de réouverture soit annoncé.

« Ç’a été une période difficile pour nous, donc on espère pouvoir réembaucher tout le monde éventuellement, ajoute M. Granger. Heureusement qu’il y a eu quelques ventes en ligne, on a eu jusqu’à 200 commandes par jour, mais il a fallu nous organiser, et ça n’a pas toujours été facile de nous procurer tous les titres qu’on nous commandait. Mais on a survécu à ça grâce aux programmes du gouvernement fédéral, et maintenant on va se concentrer sur notre réouverture. »

Même soulagement pour Philippe Sarrasin, propriétaire de trois librairies à Verdun, à Lachine et dans la Petite-Bourgogne, qui compte au total une quarantaine d’employés. Même s’il y a encore beaucoup d’inconnues sur les mesures à mettre en place.

> Consultez la liste des mesures de précaution de la CNESST

« On va commencer à faire le ménage dans nos librairies pour nous remettre en mode commerce et non plus en mode entrepôt, nous dit-il. On va réembaucher nos employés graduellement et voir comment ça se passe. On espère que les gens vont encourager leurs commerces de quartier, parce qu’il faut recommencer à faire des ventes. C’est bien beau les subventions et les programmes d’aide, mais il faut recommencer à gagner notre vie décemment. »

Quant à la fermeture d’Olivieri, le milieu du livre indépendant a évidemment exprimé sa tristesse de voir disparaître l’un des leurs. Le libraire Philippe Sarrasin croit que, malgré la réouverture graduelle des commerces les 4 et 11 mai, « tout le monde ne sera pas sauvé ». « C’est difficile de mesurer aujourd’hui quels dommages ça va avoir faits tout ça, dit-il. Malheureusement, je m’attends à ce qu’il y ait d’autres commerces qui ferment. Mais la réouverture du 11 mai est une bonne nouvelle et, ce soir, on va prendre un verre de vin. »

Mme Olivieri, qui a décliné notre demande d’entrevue, en évoquant une « journée trop pleine d’émotions », a conclu son message en remerciant le milieu du livre, les institutions du quartier, les auteurs, les clients et l’équipe de la librairie.

« Aujourd’hui, nous avons une pensée toute particulière pour notre première cohorte de clients, intellectuels, écrivains, artistes, grands lecteurs qui ont cru en nous dès le début et que nous côtoyions encore il n’y a pas si longtemps. Plusieurs sont aujourd’hui parmi les premières victimes de cette pandémie, reclus plus que les autres, confinés à tenter d’échapper à cette maladie. Bon courage. »