Alors que d’autres écrivains voient leur inspiration freinée par la crise de la COVID-19, Antoine Charbonneau-Demers vient de lancer Daddy, roman « de confinement » écrit en deux semaines.
« C’est dans l’esprit de compétition que je me dépêche à écrire ce livre. Je veux tirer mon épingle du jeu », dit le narrateur de Daddy dès le début de ce court roman de 90 pages. Joint au téléphone, Antoine Charbonneau-Demers admet que s’il y a de l’autodérision dans cette affirmation, il s’est quand même lancé une sorte de défi.

« À la fois j’essaie de dénoncer ça, j’en suis victime, et j’y contribue. Ce sont ces trois choses que je voulais explorer en publiant aussi vite. »

Il se passe souvent deux ou trois ans entre les premiers mots d’un roman et sa publication. Il y a ainsi quelque chose de très performatif dans le geste d’Antoine Charbonneau-Demers qui, à 25 ans, a déjà deux romans à son actif – Coco, qui a remporté le prix Robert-Cliche en 2016, et Good Boy, paru en 2018.

« Au moment où on est en pause, où j’aurais pu saisir l’occasion pour ralentir, où il n’y a plus d’urgence, c’est comme si j’avais senti le besoin de m’en créer une. »

C’est que le confinement a inspiré le jeune auteur, qui a eu envie de « prendre les rênes » de son travail en se lançant dans ce projet sans sa maison d’édition habituelle, VLB.

« Je vais certainement retravailler avec eux. Je ne crache pas là-dessus, c’est grâce à cet éditeur si je suis écrivain aujourd’hui. Mais c’est un délai que je ne voulais pas », dit l’auteur, qui s’est adjoint les services de Nicolas Dawson pour le travail éditorial.

Pas de temps à perdre donc : en deux semaines, son livre a été écrit, édité, révisé et mis en ligne.

« C’est l’occasion d’être lu au moment où ç’a été écrit. Parce que c’est maintenant que j’ai quelque chose à dire. »

Réflexion

Comme les deux précédents livres d’Antoine Charbonneau-Demers, celui-ci est une autofiction qui met en scène Antoine, jeune homosexuel vivant toutes sortes d’expériences. Dans Daddy, Antoine, confiné chez lui à cause de la pandémie de COVID-19, écrit un livre racontant sa relation à plusieurs vitesses avec un homme qu’il surnomme Daddy – l’un est amoureux, l’autre pas. Entre deux chapitres, il commente l’actualité du moment.

Si Antoine Charbonneau-Demers voulait raconter les rouages de cette relation, son objectif était aussi de montrer ce que la pandémie et ses effets peuvent déclencher comme réflexion. Daddy n’est donc pas tant une forme de journal de confinement – « On n’est pas dans mon quotidien » – qu’une histoire d’isolement : dans le contexte extraordinaire de la crise, confronté à ses choix, Antoine ne sait plus s’il a pris les bonnes décisions.

« J’ai réfléchi à ce que ça signifie, être seul. Je me dis “OK, moi j’ai choisi ça”, mais je comprends peut-être pourquoi des gens choisissent de ne pas l’être. »

C’est ce qu’il retient déjà de tout ceci : il ne faudra plus jamais rien tenir pour acquis ni croire « que le monde va toujours tourner comme il tournait avant que ça se passe ».

« J’ai 25 ans et je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi intense. Peut-être que ça va durer longtemps. Peut-être qu’il y aura autre chose. Mais ça me confronte au fait qu’on veut vivre sa vie en pensant que ça va couler toujours pareil… alors que non. »

Suite

Maintenant que Daddy est publié, Antoine Charbonneau-Demers est retourné à ses projets en cours. « Mais c’est drôle, c’est comme s’ils avaient perdu leur sens. C’est étrange d’écrire sur des gens qui boivent, qui vont dans des bars… »

Son grand-père, qui vivait dans une résidence à Rouyn, est mort de la COVID-19 au début de la crise. Le jeune homme est donc plutôt inspiré par sa grand-mère qui est encore là. « Elle est toute seule et elle trouve ça vraiment difficile. J’essaie de trouver un moyen d’écrire pour elle, ou sur elle. »

Antoine Charbonneau-Demers est curieux de voir quelle vie aura son livre. « J’espère que le mot va se passer, que les gens vont embarquer et qu’ils vont le lire maintenant. » Mais il est content du résultat.

« Je ne sais pas si j’ai saisi l’air du temps, mais dans mon air du temps à moi, j’ai l’impression d’avoir mis le doigt sur quelque chose avec plus d’aplomb que d’habitude. Peut-être parce que c’était court, et que j’étais comme pressé, mais on dirait que ça a concentré ce que j’avais à dire, et que je savais comment le dire. »

Entre autres en assumant davantage l’autofiction, et en délaissant de plus en plus clairement la fiction. Daddy, un livre de maturité ?

« J’ai l’impression que je suis rendu là dans ma démarche et que j’ai eu la chance de l’exprimer. Avec les livres, à cause des délais de publication, c’est quelque chose qui d’habitude est toujours en décalage. »

Et non, il n’a pas l’impression que le fait de publier un roman est dérisoire, par rapport par exemple à la réalité des travailleurs du réseau de la santé.

« C’est ça, mon métier. Je ne peux pas aller au front. Ma façon à moi, c’est celle-là, c’est de parler aux gens qui sont confinés. »

IMAGE FOURNIE PAR L’AUTEUR

Daddy, d’Antoine Charbonneau-Demers

Daddy
Antoine Charbonneau-Demers
90 pages