Aucun doute, c’est bien lui : sur la séquence d’un documentaire télévisé diffusé en 2018, Régis Jauffret reconnaît les traits de son père, mort quelques années plus tôt, arrêté par la police de Vichy à Marseille en 1943.

Un épisode qu’il n’a jamais évoqué de son vivant. En tirant sur ce mystérieux fil qui dépasse, l’écrivain nous expose à quel point son géniteur — car c’est bien ce à quoi il s’est presque réduit – fut un inconnu à ses yeux, emmuré dans les cloisons de la surdité et de la bipolarité. Alfred Jauffret, qui étais-tu ? Un collabo, un héros, un quiproquo ? « Ces sept secondes de film ont réveillé l’enfant tapi dans les couches profondes de mon être, me donnant une inextinguible soif de père », annonce-t-il.

Et le voilà à tisser, déconstruire, rapiécer les maigres éléments à sa disposition pour se fabriquer son papa, nous conduisant dans un portrait labyrinthique flottant entre fragments de réalité et fantasmes de fils délaissé. Un enchevêtrement inextricable de vrai et de faux, mécanisme fleurant Delphine de Vigan (D’après une histoire vraie) ou Philip Roth (Opération Shylock), et enfantant un père de plus en plus insondable au fil des pages.

Papa, de Régis Jauffret, Seuil, 200 pages, ★★★½