Le quinzième roman d’Alain Beaulieu est certainement l’un de ses plus touchants. L’écriture précise et élégante de l’auteur de Québec est à son paroxysme dans un récit qui célèbre la littérature de plusieurs façons.

Dans un pays d’Amérique du Sud, le médecin Manuel Mendoza perd tous ses repères lors du décès soudain de son épouse, directrice d’une maison d’édition. L’homme fortement éprouvé décide de tout plaquer afin de perpétuer la mission de celle qu’il croit avoir négligée au fil des ans en raison d’un travail très prenant.

Or, Manuel Mendoza n’y connaît que dalle en littérature. À la lecture d’un brillant manuscrit, deuxième et ultime roman de son épouse qu’elle a signé sous un pseudonyme, il croit y déceler un souvenir troublant qui le pousse à filer jusqu’au bout du pays. Les employés de la maison littéraire et ses propres enfants s’inquiètent, mais le médecin malade de tristesse veut en avoir le cœur net.

La métaphore est belle. Le pays est en proie à des manifestations de plus en plus violentes, on pourrait penser à ce qui se passe en ce moment au Chili et en Bolivie, pendant qu’un médecin se porte au chevet des livres et des auteurs. Sans savoir trop pourquoi, Manuel Mendoza sent au plus profond de lui qu’il s’agit du geste à poser au moment où le sol se dérobe sous ses pieds.

Comme dans tout bon road trip, c’est le voyage qui compte ici, peu importe le résultat. Manuel Mendoza fera des rencontres qui changeront sa vie, dont celle de son âme propre. Il comprendra notamment que la réalité est souvent plus dure et cruelle que la fiction. Et que, pour cette raison, il faut sauver les histoires qui nous apprennent à mieux vivre.

Le voyage entrepris par le médecin dans la foulée de la lecture du roman de sa femme démontre ainsi la puissance de la littérature. Sentir le monde dans une œuvre d’art, c’est expérimenter la fusion des esprits et des êtres. La réception d’une œuvre n’est jamais un acte solitaire, mais une rencontre.

Grand voyageur lui-même, Alain Beaulieu se laisse habilement imprégner des paysages et des situations qu’il transpose en réflexions et émotions, brillamment. Le romancier sait raconter une histoire, mais surtout, le faire avec le maximum d’impact dramatique en usant d’un minimum de mots justes.

Dès le premier paragraphe, le romancier sait dire bellement l’essentiel. Cette entrée en matière nous enchaîne au fauteuil avec un seul souhait qui devient vite une obsession, continuer jusqu’au bout.

Certains pourraient reprocher à l’écrivain sa trop « belle histoire » à la conclusion de ce périple. Mais le message est conséquent et d’une logique implacable à l’heure où l’anxiété mondialisée nous guette. Les arts en général, et les livres en particulier, font du bien à l’humanité.

★★★★

Visions de Manuel Mendoza, Alain Beaulieu. Druide, 327 pages