(Londres) Le jury du Booker Prize révèle jeudi soir le lauréat 2020 du prestigieux prix littéraire britannique, qui a déjà consacré des auteurs comme Kazuo Ishiguro ou Margaret Atwood, lors d’une cérémonie retransmise sur la BBC.

Parmi les six ouvrages retenus en finale cette année figurent quatre primo-romanciers — les Américains Diane Cook, Avni Doshi et Brandon Taylor, et l’Écossais Douglas Stuart —, dont les premières œuvres explorent des thèmes allant du changement climatique, au racisme en passant par les liens familiaux.

The New Wilderness de Diane Cook est une fiction dystopique dans une ville rendue inhospitalière par la crise climatique. L’Américaine élabore actuellement un scénario basé sur ce roman dont Warner Bros a acheté les droits pour l’adapter en série.

Comme dans The New Wilderness, Burnt Sugar de l’Américaine Avni Doshi explore la relation complexe entre une mère et sa fille, mais cette fois dans l’Inde contemporaine. « Comme le titre l’indique, il s’agit d’un roman qui laisse souvent un goût amer dans la bouche », a décrit l’un des juges, Sameer Rahim, saluant « un livre fascinant, magnifiquement écrit » et « déchirant ».

Dans Real Life de l’Américain Brandon Taylor, on suit Wallace, un jeune homme introverti confronté au racisme lors de ses premiers pas sur un campus américain, à mille lieues de son enfance en Alabama.

Shuggie Bain de Douglas Stuart se joue dans une famille de la classe ouvrière à Glasgow luttant contre l’alcoolisme et la pauvreté dans les années 1980. L’auteur a lui-même grandi dans la ville écossaise avant de partir à New York travailler dans la mode.

Camilla et Obama

Deux autres auteurs qui n’en sont pas à leur coup d’essai figurent aussi dans la sélection. L’écrivaine zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga figure parmi les finalistes avec This Mournable Body, le troisième tome d’une trilogie débutée avec Nervous Conditions (À fleur de peau dans la version française), sur le parcours d’une jeune fille du Zimbabwe sombrant dans la pauvreté.

Première autrice éthiopienne à figurer en finale du Booker Prize, Maaza Mengiste s’est inspirée de l’histoire de sa famille pour écrire The Shadow King qui décrit le soulèvement de citoyens ordinaires contre l’invasion italienne dans l’Éthiopie des années 1930. Une histoire « rarement racontée auparavant, enveloppée dans une prose lyrique magnifique », a salué l’un des juges, l’écrivain Lee Child.

Ces six finalistes ont été sélectionnés après lecture de 162 romans publiés au Royaume-Uni ou en Irlande entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020.

Le nom du vainqueur sera révélé par le journaliste de la BBC John Wilson et le lauréat sera ensuite invité à rejoindre en direct la cérémonie. À la clé, une récompense de 50 000 livres (environ 87 000 $) et l’assurance d’une renommée internationale.

À partir de 14 h (heure de Montréal), la cérémonie proposera des entrevues de certains jurés, d’anciens lauréats et de célébrités. Sont attendus entre autres Kazuo Ishiguro et Margaret Atwood, ainsi que la duchesse de Cornouailles Camilla, épouse du prince Charles, qui abordera en vidéo l’importance de la lecture pendant la pandémie de coronavirus, et l’ex-président américain Barack Obama, qui parlera de ses lectures des œuvres sélectionnées.

Outre Kazuo Ishiguro et Margaret Atwood, parmi les romanciers déjà distingués figurent des auteurs reconnus comme Hilary Mantel, Salman Rushdie et Julian Barnes.

Cinq choses à savoir sur le Booker Prize

Le Booker Prize, équivalent britannique du Goncourt depuis un demi-siècle, compte parmi les plus prestigieux prix littéraires du monde, et est une promesse d’accélérateur de ventes pour les lauréats. Voici cinq choses à savoir avant la remise du prix jeudi.

Histoire de noms

Le prix littéraire a été créé en 1969 grâce au financement du plus important grossiste alimentaire anglais, Booker.

Les éditeurs britanniques, désireux de trouver un équivalent anglais au vénérable prix Goncourt, ont sollicité Jock Campbell, président de Booker et amateur de littérature, pour qu’il commandite le projet.

Le prix a été rebaptisé « Man Booker Prize » en 2002 quand le fonds spéculatif Man Group en est devenu commanditaire financier à son tour.

Il a retrouvé son ancien nom en 2019 lorsqu’il est passé aux mains de la fondation caritative américaine Crankstart, fondée par des milliardaires de la Silicon Valley.

Gloire et fortune

Le prix récompense un roman écrit en anglais et publié au Royaume-Uni ou en Irlande.

Le lauréat, dont le nom est dévoilé chaque année en automne à Londres, remporte 50 000 livres (environ 87 800 $). Chaque finaliste empoche par ailleurs 2500 livres (environ 2790 euros).

Ces sommes sont bien loin de celles du Prix Nobel de littérature doté de 844 000 euros, mais font partie des plus généreuses dotations parmi les récompenses littéraires, à l’image du prix Pulitzer (près de 13 600 euros) ou du National Book Award aux États-Unis (environ 4330 $).

En France, le prix Goncourt n’offre que 10 euros (15,50 $) symboliques au gagnant, mais s’accompagne de la promesse de ventes record.

Le lauréat du Booker, lui aussi, « est assuré d’une reconnaissance internationale et d’une forte augmentation des ventes », selon le site du prix anglais.

Comment ça marche ?

Pour chaque édition un comité du Booker compose un panel d’environ cinq jurés, le plus souvent des personnalités du monde littéraire — écrivains, critiques et éditeurs.

Ils disposent de plusieurs mois pour lire les nombreux livres en lice, puis en présélectionnent une dizaine. De cette sélection émergent des finalistes, puis un unique lauréat est nommé. Sauf en 2019, 1997 et 1974, où deux auteurs ont été couronnés.

Traductions récompensées

En 2016, un prix parallèle a été créé pour récompenser une fiction traduite en anglais et publiée, là aussi, au Royaume-Uni ou en Irlande.

L’auteur et le traducteur du roman lauréat se partagent la dotation de 50 000 livres sterling du prix international Booker, dévoilé chaque année en mai.

L’écrivaine française Annie Ernaux a fait partie de la sélection finale en 2019 pour Les années, traduit par Alison Strayer.

Controverses

Réservé aux auteurs britanniques, irlandais, zimbabwéens, et des pays du Commonwealth, le Booker Prize s’est ouvert aux écrivains américains en 2014, suscitant une vive polémique au Royaume-Uni sur la vocation originelle du prix.

Le double lauréat Peter Carey avait dénoncé en 2017 un prix uniquement financé par Man Group pour améliorer son image de marque.

La sélection des prétendants a été critiquée comme étant arbitraire, des dissensions ont parfois agité le jury et le choix du lauréat, parfois ouvertement répudié par un juré, est sujet à controverses.

Les gagnants ne sont pas toujours enchantés non plus : dans son discours de remerciement en 1972, le lauréat John Berger a déploré l’esprit de compétition « détestable » entourant la récompense.

L’écrivain engagé donna la moitié de l’argent gagné grâce à son prix au mouvement révolutionnaire afro-américain des Black Panthers pour dénoncer l’exploitation des Caraïbes par des sociétés commerciales, parmi lesquelles le commanditaire financier du Booker Prize.