Le narrateur de La mort d’un commis de dépanneur est bègue, fauché et profondément désabusé. Alors qu’il décide de démissionner d’un emploi en lequel il n’a « plus la foi », il déménage à une centaine de kilomètres d’où il était pour fuir un agent de recouvrement qui le talonne et se retrouve, un peu par hasard, embauché comme commis au dépanneur de Monsieur et Madame Song, endroit quelque peu vétuste parsemé d’objets hétéroclites.

Ce narrateur traîne son vague à l’âme sans trop savoir qu’en faire, tente d’occulter la vacuité évidente de son existence dans les plaisirs éphémères de la chair en accumulant les conquêtes éphémères, posant sur la vie et les choses son regard à la fois lucide, ennuyé et dénué de tout espoir de salut. Que faire lorsque l’horizon ne débouche sur rien ? Tenter de se laisser porter, sans trop réfléchir, par la marche des heures, les mouvements répétitifs, le va-et-vient des clients et l’observation de la faune locale bigarrée, ce que son nouvel emploi lui offre sur un plateau d’argent.

« C’est quand même un drôle de métier, commis de dépanneur. Vous passez la moitié de votre temps à regarder des gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent. […] Cette possibilité de choisir entre de la cochonnerie et de la cochonnerie ouvre une petite liberté dérisoire et mesquine, une brèche dans laquelle s’engouffre leur ennui. »

La mort d’un commis de dépanneur se présente sous la forme d’un long monologue intérieur. Il y a très peu de dialogues, et jamais une parole prononcée par le personnage, ce qui crée un contraste entre sa logorrhée intérieure et son bégaiement rendant la communication plus ardue. Il y a dans l’écriture de l’auteur une poétisation du quotidien qui passe par un humour noir parfois acerbe – « Les instructions pour la préparation de ce pop-corn constituent une leçon sur le temps qui passe et la passion qui s’amoindrit ». C’est très bien tourné, et les images ainsi créées sont souvent surprenantes, voire touchantes.

Avec ce premier roman, Jean-François Aubé, qui évolue dans le domaine du cinéma et a déjà publié un recueil de nouvelles, offre une plongée fort intéressante dans les méandres d’un personnage fondamentalement existentialiste qui, à certains égards, peut rappeler le personnage du Libraire, de Gérard Bessette, classique de la littérature québécoise. À travers les rencontres que le personnage fait au dépanneur, présenté comme un véritable microcosme social, et les vies de ces gens, des marginaux pour la plupart, qu’il décide de raconter pour que leur existence ne tombe pas dans l’oubli, il ne pourra faire autrement que de laisser s’ouvrir en lui une brèche qu’il pourra de moins en moins colmater.

La mort d’un commis de dépanneur
Jean-François Aubé
Lévesque éditeur
232 pages
★★★