Treize ans après la parution du dernier Harry Potter, J. K. Rowling présente un nouveau roman jeunesse, L’Ickabog. Très chanceux, les Québécois peuvent plonger dans la version française de ce conte dès ce mardi. En France, sa sortie est reportée par solidarité envers les librairies fermées pour lutter contre le coronavirus. La Presse présente deux jeunes Québécois dont les dessins ont été choisis pour illustrer L’Ickabog et une entrevue avec Clémentine Beauvais, qui en signe la traduction très réussie.

Fan et traductrice de J. K. Rowling

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS SARBACANE

Nouvelle traductrice de J. K. Rowling, Clémentine Beauvais est aussi l’autrice du roman Âge tendre, en lice pour le prix Vendredi, qui récompense le meilleur ouvrage francophone destiné aux 13 ans et plus.

Clémentine Beauvais avait 10 ans quand elle est tombée amoureuse de Harry Potter. Aujourd’hui âgée de 31 ans, la jeune Française est autrice à succès, enseignante en sciences de l’éducation à l’Université de York, au Royaume-Uni, et traductrice de L’Ickabog, le nouveau roman pour enfants de J. K. Rowling. La Presse l’a jointe par visioconférence, pendant la sieste de son bébé tout neuf. Pour Clémentine Beauvais, 2020 est une belle année…

Comment vous êtes-vous retrouvée à traduire L’Ickabog ?

Le traducteur historique des Harry Potter, Jean-François Ménard, n’était pas disponible, donc les gens de Gallimard m’ont appelée. Je pense que c’était pour un mélange de plusieurs choses : parce que j’ai déjà fait beaucoup de traductions, aussi pour mon profil d’autrice. Enfin, il est quand même de notoriété publique que je suis très fan de Harry Potter [rires]. C’était une surprise totale. Je ne m’y attendais évidemment pas du tout.

Quels ont été les défis de cette traduction, faite en quelques semaines ?

Il y en avait plusieurs. Honnêtement, l’un des gros défis, c’était le défi contextuel. On savait que la traduction allait être scrutée, scrutée, scrutée. Il ne fallait faire aucun écart. Je le dis comme si c’était une mauvaise chose de faire un écart, mais souvent, en traduction, ce n’est pas le cas. Là, c’était beaucoup, beaucoup de discussions sur parfois un petit mot ou une petite tournure de phrase.

Et l’autre challenge, c’est qu’il y a dans L’Ickabog des phrases très ampoulées. Parce que J. K. Rowling utilise un style un peu pastiche de roman pour enfants du XIXsiècle.

Très réussie, votre traduction donne l’impression d’être dans un royaume anglais, pas en France.

C’est important pour moi. Je ne suis pas du tout de l’école qui dit qu’il faut qu’une traduction sonne comme si c’était écrit dans la langue de traduction. Je n’avais rien du tout contre l’idée que ça garde cette espèce de patine anglaise, dans les mots et dans les constructions. Mais évidemment, ça prend toujours un calibrage assez délicat.

La popularité de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine a été étonnante. Pourquoi, selon vous, les gens choisissent de croire aux mensonges, comme dans L’Ickabog ?

Je n’avais même pas pensé que la coïncidence des deux évènements était tout à fait intéressante… Ce que j’aime beaucoup dans le bouquin de Rowling — je vais répondre par une pirouette, parce que je peux avoir ma propre idée, mais ce qui est intéressant, c’est la manière dont on en parle dans L’Ickabog —, c’est que le processus par lequel le pays est entièrement englouti par la dictature est très lent. Ça arrive très progressivement, et J. K. Rowling le rend hyper bien.

On voit à la fois le pouvoir du roi Fred qui décline et le pouvoir de son conseiller qui augmente, augmente et augmente. Un moindre auteur aurait fait un truc où quelqu’un fait un coup d’éclat et vient s’installer dans le pays. C’est un peu la limite, pour moi, de la comparaison de L’Ickabog avec l’Amérique. Au contraire, l’Amérique actuellement — comme la politique radicale en général —, ça fonctionne avec du spectacle et du coup d’éclat.

J. K. Rowling a publié des tweets jugés transphobes, plus tôt cette année. Vous avez indiqué ne pas être solidaire de ses prises de position personnelles. Cela dit, vous n’adoptez pas une approche de la littérature qui condamne une œuvre pour les propos de son auteur. Pour vous, la décision de ne pas lire un auteur doit être personnelle, pas collective.

Séparer l’œuvre de l’auteur, qu’est-ce que ça veut dire quand on est super fan d’un auteur dont on ne partage pas les positions ? Et dont les positions ne s’expriment pas dans les livres ? Comment est-ce qu’on peut gérer cette complexité-là ? C’est une leçon, une expérience de pensée intéressante…

Vous venez de publier le roman Âge tendre, en lice pour le prix Vendredi, qui récompense le meilleur ouvrage francophone destiné aux 13 ans et plus. Pourquoi devrait-on le lire ?

C’est une histoire qui est fondamentalement feel good, qui a vraiment pour ambition de rendre heureux. Tout en réfléchissant de manière plurielle à ce qu’est la mémoire individuelle et personnelle, et comment elle s’entremêle dans la grande histoire. Il est question à la fois de ce qui se passe quand on a tout oublié — c’est le cas des pensionnaires de l’institution dans Âge tendre et de ce qui se passe quand on n’arrive pas à oublier — c’est le cas du jeune héros, Valentin, et de sa directrice de stage.

Les propos de Clémentine Beauvais ont été édités, en raison d’un espace limité.

Avoir 15 ans dans les (fausses) années 1960-1970

Valentin, 15 ans, doit faire un stage de service civique d’un an, comme tous les jeunes de son âge. C’est la présidente de la France qui l’a décidé. L’adolescent se retrouve dans le nord du pays, dans un centre pour personnes atteintes d’alzheimer conçu pour ressembler à un village des années 1960-1970. Ça tombe bien : Valentin vient du Sud, il est plutôt rigide et il espérait être stagiaire dans un musée ou une bibliothèque… Au fil des 378 pages d’Âge tendre, Clémentine Beauvais réussit à nous attacher au sort de l’atypique Valentin, de sa superviseure de stage secrète et des pensionnaires dont ils prennent soin. Après un début un peu désarçonnant, on grandit et on vibre avec eux — au point de regretter de devoir les quitter. Un formidable roman, qui s’amuse autant avec le fond qu’avec la forme.

Âge tendre, texte de Clémentine Beauvais, Éditions Sarbacane, dès 13 ans

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS SARBACANE

Âge tendre, texte de Clémentine Beauvais

Deux enfants québécois illustrent L’Ickabog

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hubert Jasmin a de la chance : un de ses dessins a été choisi pour illustrer l’édition française de L’Ickabog, le nouveau roman pour enfants de J. K. Rowling.

Au printemps, pendant que la pandémie de COVID-19 enfermait des millions d’enfants à la maison, J. K. Rowling a songé à L’Ickabog. Elle avait inventé ce conte pour ses deux plus jeunes enfants, David et Mackenzie, nés en 2003 et 2005. Inachevé, L’Ickabog s’ennuyait dans des boîtes au grenier.

L’autrice britannique, qui a révolutionné la littérature jeunesse avec la série Harry Potter  vendue à plus de 500 millions d’exemplaires dans le monde —, a décidé de terminer et de publier L’Ickabog en ligne. Elle a aussi lancé un concours de dessin, offrant aux jeunes de 7 à 12 ans d’illustrer la version papier de L’Ickabog, en librairie ce mardi.

Deux dessins du Québec

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hubert a dessiné le capitaine Blatt, à gauche sur la photo. « Pour le brouillard, j’ai utilisé du fusain avec un pinceau », précise-t-il.

Les œuvres de deux Québécois, Hubert Jasmin, 8 ans, et Flavie Légaré, 11 ans, ont été sélectionnées. « J’ai dessiné un homme qui s’appelle capitaine Blatt, dit Hubert Jasmin, de Longueuil. Il a un fusil derrière son dos et il sort du brouillard. » Le garçon a envoyé six illustrations à Gallimard, faites aux crayons de bois, à l’aquarelle et au fusain. « J’aime beaucoup dessiner », précise-t-il.

Flavie Légaré, de Montréal, a également soumis six ou sept dessins au concours. Celui qui a été retenu illustre « un petit pied en bois que j’ai pris cinq minutes à dessiner » aux feutres à alcool, admet-elle franchement. Bien que menu, ce peton — ou plutôt, sa découverte — est crucial dans le déroulement de L’Ickabog.

PHOTO FOURNIE PAR GALLIMARD DIFFUSION

Flavie Légaré a dessiné un pied d’Ickabog, petit mais très important dans le déroulement de l’histoire.

Une « montagne de livres » en prix

Flavie a déjà lu deux fois la saga Harry Potter : à 8 ans, puis « pendant le confinement, parce que je m’ennuyais », dit-elle. C’est sa mère qui lui a parlé de L’Ickabog, d’abord diffusé en français sous forme d’épisodes en ligne, du 3 juin au 17 juillet. « J. K. Rowling écrit vraiment de bonnes histoires », témoigne-t-elle. Hubert aussi a lu L’Ickabog. « Sur le téléphone de ma mère », indique-t-il. « Il y a beaucoup d’aventures », précise-t-il.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Quand tu lis Harry Potter, t’es juste trop embarquée dedans ! », souligne Flavie Légaré, grande fan de la saga du jeune sorcier.

Tous deux vont recevoir un exemplaire signé par J. K. Rowling et « une montagne de livres » pour leur école, précise Flavie. Au cours de l’entrevue, la jeune fille portait une écharpe « potteresque » qu’elle a tricotée elle-même, sans la moindre formule magique. Quant à J. K. Rowling, elle s’est engagée à reverser tous les droits d’auteur de L’Ickabog à des associations venant en aide à ceux qui souffrent de la pandémie, ce qui apportera sans doute un peu de magie.

Qui est le véritable monstre ?

PHOTO FOURNIE PAR GALLIMARD DIFFUSION

L’Ickabog, texte de J. K. Rowling, traduction de Clémentine Beauvais

Dans un petit royaume appelé Cornupia régnait le roi Fred Sans Effroi. Plus vaniteux que futé, il se faisait conseiller par deux amis, Lord Crachinay et Lord Flapoon, avec qui il passait ses journées à déguster les merveilleuses spécialités culinaires du royaume. Pour prouver son courage, le roi Fred entreprit un jour un voyage vers les marécages du nord de son pays, où vivait une créature appelée Ickabog. Le monstre, hélas, n’est souvent pas celui qu’on croit…

Dans ce premier roman pour jeunes depuis la série des Harry Potter, J. K. Rowling fait toujours preuve d’un grand talent pour inventer un monde et nous y faire croire. Ses personnages forts et sa narration complice du lecteur font tourner vite chacune des 341 pages. Bien que moins magique que la saga du jeune sorcier, cette fable sur le pouvoir politique, l’information et le mensonge aborde des thèmes brûlants d’actualité.

L’Ickabog, texte de J. K. Rowling, traduction de Clémentine Beauvais, Gallimard Jeunesse, 341 pages, dès 8 ans