Publier un premier roman à l’âge de 50 ans, ce n’est pas rien. Et c’est encore plus exceptionnel quand il remporte un prix, en l’occurrence le Prix du premier roman.

C’est le cas de Ketty Rouf qui a travaillé en philosophie, a croisé le chemin de Paul Ricœur, et a ensuite bifurqué vers la danse. Aujourd’hui professeure d’italien (elle est originaire de Trieste), elle vient de publier On ne touche pas, l’histoire non conventionnelle de Joséphine, prof de philo le jour et strip-teaseuse la nuit.

Dès les premières pages, on comprend que l’enseignement n’est pas une passion, plutôt une épreuve pour la narratrice qui se traîne littéralement jusqu’au lycée où elle enseigne, à Drancy, en banlieue parisienne.

Joséphine émerge à peine d’une dépression, écrasée sous le poids de la tâche. Les conditions de travail sont atroces, les profs disposent de peu de moyens et les élèves sont difficiles à motiver.

Le portrait que brosse l’auteure du milieu de l’éducation est tout à fait déprimant. Clientélisme, nivellement par le bas, bureaucratie à outrance, violence, désabusement… Comment arriver à allumer une étincelle dans les yeux des jeunes en parlant de Platon et de Kant ? La bataille – car c’est ainsi que l’auteure décrit l’acte d’enseigner, comme une lutte – est perdue d’avance.

Pour fuir la grisaille de la vie de fonctionnaire, la jeune femme réalise un fantasme : le strip-tease. La nuit, elle se rend donc dans un club des Champs-Élysées et prend les traits et l’allure de Rose Lee, l’incarnation d’une femme bien dans sa peau, séductrice, qui joue avec le désir des hommes.

Alors que dans sa vie d’enseignante, Joséphine n’a le contrôle sur rien, dans sa vie de danseuse, Rose Lee contrôle tout. À commencer par son corps qu’elle apprend à aimer après des années de haine de soi, d’intimidation et de blessures profondes.

Il y a donc une revanche sur la vie dans cette décision de devenir strip-teaseuse.

Ce livre parle aussi de la dualité des femmes qui peinent parfois à faire cohabiter leur vie intellectuelle et leur vie sensuelle.

Enfin, On ne touche pas est aussi un livre sur la sororité que l’auteure décrit entre autres dans les scènes de vestiaire et de coulisses du club, un peu comme le faisait Lola Lafon dans Chavirer. Dans les deux cas, les filles se tiennent entre elles.

Malgré ces thèmes riches et porteurs, on a eu de la difficulté à embarquer dans la proposition de Ketty Rouf, d’autant plus que son personnage de Joséphine n’est pas particulièrement sympathique ou attachant. Certains personnages un peu clichés nous ont également dérangée. Nous avons persévéré, car les réflexions de la narratrice étaient souvent intéressantes et déstabilisantes. À noter qu’on verra éventuellement l’histoire de Joséphine au grand écran puisque les droits du roman ont été vendus.

★★★½

On ne touche pas, Ketty Rouf, Albin Michel, 220 pages.