Valérie Jessica Laporte n’aime ni l’irrégularité ni l’imprécision. L’auteure de Méconnaissable accueille tout de même notre appel — entré avec cinq minutes de retard — d’un ton léger. « Auteure, c’est plus doux qu’autrice, non ? C’est quoi ce mot qui arrache ? », demande-t-elle, volubile et enjouée, loin des clichés associés à sa situation. À 43 ans, elle signe un premier roman sensible et éclairant sur l’univers de l’autisme.

Méconnaissable raconte la fugue d’une fillette en quête d’elle-même, dans un monde qui lui est aussi difficile à saisir que le sont ses comportements pour son entourage. Il ouvre, du même coup, une porte sur le labyrinthe d’un cerveau hors norme : ses perceptions, ses pensées, ses contraintes. Et sa solitude.

De son histoire personnelle, Valérie Jessica Laporte n’a extrait que cette scène où le personnage, durant une fête d’enfant, se glisse entre un lit et un mur pour apaiser son « trop-plein » de sensations. « Ce n’est pas une autobiographie, précise l’auteure qui souhaite, avec ce roman, ériger un pont entre l’univers des neurotypiques et celui des autistes. Mais le ressenti du personnage vient de mes perceptions. »

D’abord écrit en format nouvelle, Méconnaissable s’est classé parmi les finalistes au Prix de la nouvelle Radio-Canada en 2018. Il y a été remarqué par l’écrivaine Kim Thúy (Ru, À toi, Vi) qui l’a soumis à sa maison d’édition. « Je ne savais pas que j’avais du talent, raconte Valérie Jessica Laporte, qui a pondu ce roman quasi d’un jet, avant de mettre du temps à le peaufiner. Cette histoire ne demandait qu’à sortir. »

J’ai bien écouté les règles et on ne m’a jamais informée que d’être aimé ou pas en était une. Si on m’avait dit qu’il fallait être aimé, j’aurais demandé comment on devait faire et j’aurais essayé de débuter correctement.

Extrait de Méconnaissable

Méconnaissable est écrit avec une plume unique, produit d’une pensée différente. En découlent des phrases savoureuses où les métaphores abondent. L’auteure voit le monde en images, explique-t-elle. Un seul mot lui est souvent insuffisant pour décrire ses pensées avec précision, ce qui nécessite l’assemblage de plusieurs.

Ses personnages portent des noms comme petit frère-sent-bon, mère-aride, père-parfois… Des mots qui décrivent et qui ont un sens. « Moi, les gens, c’est comme ça que je les vois. Dans mon entourage, il y a l’amoureux, l’amie-sagesse, l’amie-magique, l’ami-pareil… Je trouve que c’est plus logique. » Son personnage principal reste toutefois sans nom jusqu’à la dernière page.

« C’est vrai », réalise l’auteure en riant. « Ne sait pas », le baptise-t-elle après une brève réflexion. « C’est une enfant qui, malgré toute la suranalyse qu’elle fait, ignore qui elle est et où elle va. »

Autiste, entre autres choses

Valérie Jessica Laporte est autiste, entre autres qualificatifs parmi lesquels s’alignent aussi les mots designer graphique, photographe, auteure, passionnée de dés (qu’elle collectionne, et dont elle aime la forme et le bruit parfait lorsqu’ils roulent), maman de trois enfants et amoureuse.

À l’instar de son personnage, Valérie Jessica Laporte a mis beaucoup d’énergie à essayer de reproduire les réactions des autres pour passer inaperçue. « Je prenais des morceaux de tout le monde. Je me disais : je vais bouger comme telle personne, je vais me placer comme elle. Mais je ne vis pas dans ce temps-là. C’est épuisant. »

Son diagnostic est tombé sur le tard, il y a cinq ans, comme une bouffée d’air annonçant un nouveau printemps. Tenter de masquer sa nature a en effet été l’un des combats des premières décennies de sa vie.

J’avais tellement peur de faire une gaffe, de briser quelque chose, ou de me mettre dans le trouble que j’étais très en retrait, alors que je suis sociable. J’étais terrorisée des conséquences.

Valérie Jessica Laporte

Elle se souvient d’un souper de Noël au travail de son conjoint. Le bruit, les bas collants, les contacts trop nombreux… Elle a passé une partie de la soirée aux toilettes à brosser ses jambes, à s’asperger d’eau froide, à pleurer. Il y a aussi cette première journée dans une nouvelle école, où elle s’est retrouvée chez le directeur pour impolitesse sans trop comprendre pourquoi.

L’amoureux lui fait maintenant du coaching sur le tact. « Il y a quelque chose que je ne maîtrise pas dans le ton. Je ne suis pas arrogante, mais ça peut passer pour ça. Aujourd’hui, je peux le nommer au moins. Je suis mieux outillée. En général, les gens comprennent et rient avec moi de mes incongruités. »

Oui, elle met ses mains sur ses oreilles quand il y a trop de bruit ou de stimuli. Elle applaudit, agite les bras et saute sur place lorsqu’elle est contente… « Ce n’est peut-être pas typique à 43 ans, mais je veux juste être moi. Au moins, de cette façon, j’existe. »

Un cerveau insatiable

Gérer son environnement, ses mouvements, son corps est un travail de tous les instants, dit-elle. S’il y a un conflit dans l’information, tout risque de se désorganiser. « Je suis habituée à me battre contre des affaires de fou. Moi, simplement de marcher me demande de penser. »

Sa vie est adaptée à cette réalité. Elle a quitté le tumulte de Montréal pour le Saguenay. Elle travaille à domicile et ne garde que les clients qu’elle aime. Une zone de sa maison est réservée au calme, et l’amoureux comme les enfants sont habitués à ses listes de choses à faire ou à ne pas oublier. Son mode de vie actuel lui permet de gérer moins de « bruits », et plus d’activités stimulantes. Car ses neurones sont aussi des bêtes affamées.

Son cerveau fonctionne comme « un logiciel Photoshop », illustre-t-elle. Les couches d’informations s’y superposent continuellement les unes sur les autres en transparence. Elles remontent à la surface en alternance, selon les besoins. « Relaxer, comme on l’entend généralement, c’est long, c’est plate, ça fait mal ! Ça m’épuise… Les gens ne se rendent pas compte du temps qu’ils perdent dans une journée. »

L’auteure multiplie les projets, car « il faut tout optimiser ». D’autres livres attendent d’ailleurs en file dans sa tête.

Elle n’est pas une personne compliquée, précise-t-elle. Juste complexe. « On a tous tendance à généraliser. On a peur de ce qu’on ne connaît pas. L’autisme, ce n’est pas un gros monstre. Tout le monde a ses particularités. »

Méconnaissable, Valérie Jessica Laporte, Les Éditions Libre Expression, 2020, 194 pages

PHOTO FOURNIE PAR LIBRE EXPRESSION

Méconnaissable, Valérie Jessica Laporte, Les Éditions Libre Expression, 2020, 194 pages