À tous ceux qui ont été déstabilisés durant la crise sanitaire de la COVID-19, le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir destine un « manuel de survie » — pour ne pas dire un manuel de vie — simple et accessible, en puisant au sein des réflexions des grands penseurs d’antan, tout autant que dans les neurosciences et la psychologie contemporaine. Suivez le guide.

Écrit dans l’urgence alors que la pandémie venait d’atteindre son paroxysme en Europe, Vivre ! dans un monde imprévisible ne s’embarrasse pas de profondes ruminations, se veut une réplique pragmatique à la morosité et à la détresse traversées en 2020, mais pourrait tout aussi bien être gardé comme munition en vue d’épreuves à venir.

PHOTO PATRICE NORMAND, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS FAYARD

Frédéric Lenoir, auteur, philosophe et sociologue, a signé de très nombreux ouvrages par le passé. Il livre aujourd’hui un petit guide pour surmonter, voire tirer profit sur le plan individuel, de la pandémie.

« J’avais envie de faire un petit livre qui nous permet d’affronter les crises, car celle-ci nous a beaucoup ébranlés et elle est loin d’être terminée. Je suis persuadé qu’il y en aura d’autres du même type. Je voulais donc écrire sur la façon de vivre dans un monde de plus en plus chaotique et imprévisible, comment trouver en soi les moyens de faire face », explique l’auteur à succès, joint par téléphone.

Pour lui, répondre aux défis contemporains passe par la cueillette des fruits du passé, alors que les anciens penseurs vivaient dans des époques autrement plus troublées, mais aussi par la psychologie des profondeurs et les neurosciences actuelles.

Armé de ces lumières, Frédéric Lenoir a ainsi divisé le manuel en 10 chapitres concis, chacun abordant de nombreuses pistes d’autoprotection et de croissance personnelle : muscler sa résilience, cultiver le positif dans les petits détails, renforcer les liens sociaux, remettre en question nos priorités et le sens donné à notre cheminement, réévaluer nos rapports à la liberté et à la mort, etc. Ces grands principes a priori abstraits sont nourris par des emprunts à Spinoza, Épictète, Montaigne, Aristote, au taoïsme, aux sciences cognitives, et illustrés par des exemples concrets (pratiquer la méditation, savourer le quotidien, embrasser l’humour…).

Entre résilience et croissance

Il propose, tôt dans l’ouvrage, de forger un tremplin à partir d’un renouement avec la résilience, aptitude qui s’est peu à peu atrophiée dans le monde occidental, faute de l’avoir exercée depuis le second conflit mondial. Il pointe les idéogrammes chinois désignant le mot crise, signifiant « danger », mais aussi « opportunité ». Une véritable incitation à se réinventer et à évoluer.

Comme le dit l’idéogramme, on a vu durant le confinement qu’il y a une possibilité de vivre autrement. On a ralenti nos activités, pris du temps pour réfléchir, se poser des questions. Une crise, c’est l’occasion de prendre du recul, de se rendre compte qu’il y a des choses dans nos vies qui ne sont pas justes.

Frédéric Lenoir

Nous avons demandé à l’auteur, parmi l’enfilade de sentiers à explorer pour surmonter l’adversité, lesquels seraient à mettre en priorité. Sa réponse est donnée sans ambages : se mettre à l’abri des informations anxiogènes déversées en continu sur nos écrans (« une demi-heure par jour suffit », juge-t-il), pour mieux se consacrer aux activités quotidiennes colportant le plaisir et, surtout, prendre conscience de leurs bienfaits en les savourant au moment même où nous les exerçons. « Il faut compenser ce climat anxiogène par des activités qui nous nourrissent intérieurement et être présent à toutes les petites choses du quotidien, ne serait-ce que prendre son café, sa douche, regarder ses proches. Cela réactive toutes les substances chimiques cérébrales qui vont rétablir un équilibre émotionnel », résume celui qui, dans son livre, met en garde contre « la dispersion d’attention ».

Mais ne serait-ce pas justement un grand pan de ces plaisirs dont nous a privés le virus : voyages, fêtes entre amis, matchs de soccer du samedi ? Il faut en trouver d’autres, et faire preuve de créativité, réplique M. Lenoir.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Vivre ! dans un monde imprévisible, Frédéric Lenoir, 136 pages, Fayard

Aussi, l’humour s’avère un formidable outil d’adaptation. « Il nous aide à mettre à distance le tragique, à vaincre la peur et à créer de la convivialité. Les sages taoïstes l’avaient remarqué il y a 2500 ans », souligne-t-il.

Riches réflexions

Trouver les ressources pour se remettre en question et faire de la crise un vecteur de transformation personnelle, est-ce pour autant donné à tous ? La pandémie a exacerbé de profondes inégalités sociales déjà existantes, a certainement été vécue différemment par une famille bourgeoise confinée dans son chalet et une mère seule avec quatre enfants vivant dans un petit appartement. « Il y a des choses qui sont applicables par tout le monde, soutient l’auteur, pas besoin d’être riche ou d’avoir une maison à la campagne pour savourer son thé, le soleil par la fenêtre ou faire un travail de réflexion personnelle. Beaucoup de philosophes cités dans le livre étaient issus de milieux très simples, comme Spinoza ou Épictète, qui était esclave. »

Quid de ceux gravement touchés, que ce soit par le deuil ou la perte de leur emploi ? Autant d’épreuves qui conduisent également à nous reposer des questions fondamentales sur nos priorités. « On peut voir dans toute crise, personnelle ou collective, une occasion de se poser des questions sur le pourquoi de notre vie, ce que l’on peut apporter aux autres et à soi-même », rappelle Frédéric Lenoir, qui, après avoir décortiqué les enjeux posés par la COVID-19 sur le plan individuel, s’apprête à publier cet automne un ouvrage s’attaquant aux changements systémiques nécessaires, corédigé avec Nicolas Hulot.