Pierre Lapin, célèbre conte créé il y a près de 120 ans par Beatrix Potter, a droit à une première édition québécoise. Le Lièvre de Mars publie une version traduite par Dominique Fortier, en librairie le 1er juin. La Presse en parle en sept bonds de lapin.

1. Classique

Pierre Lapin, « c’est un classique des classiques », indique Nadine Robert, du Lièvre de Mars, une maison d’édition dont la mission est de rééditer les grands titres de la littérature jeunesse. L’écrivaine anglaise Beatrix Potter a publié The Tale of Peter Rabbit en 1901. Deux ans plus tard, plus de 55 000 exemplaires avaient déjà été vendus… « Il faut connaître Beatrix Potter, c’est quelqu’un de très important, que j’admire, dit Nadine Robert. Tout ce qu’elle a pu faire comme femme, à son époque, c’est d’avant-garde. »

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Cette édition du conte de Beatrix Potter figure dans le livre 100 Great Children’s Picturebooks, publié en 2015 par Martin Salisbury, professeur à la Cambridge School of Art.

2. Illustrations de 1955

C’est une version de Pierre Lapin datant de 1955 – et illustrée par Lionel Weisgard – qui est proposée. Cette édition du conte de Beatrix Potter figure dans le livre 100 Great Children’s Picturebooks, publié en 2015 par Martin Salisbury, professeur à la Cambridge School of Art. Leonard Weisgard est « l’un des illustrateurs américains les plus prolifiques du XXsiècle », selon cet ouvrage. « Le travail de Leonard Weisgard est à nouveau particulièrement apprécié, parce que les tendances dominantes actuelles en art illustratif remontent au milieu du XXe siècle, alors qu'il était prolifique et influent, indique par courriel Martin Salisbury. Son œuvre dégage un charme d'époque et une sorte d'innocence, qui reste juste du bon côté de la sentimentalité excessive. Les textures rendues à la main de ses personnages magnifiquement ciselés appartiennent au même esprit que les œuvres des illustrateurs d'aujourd'hui, dont beaucoup reviennent à l'esthétique faite à la main. » Nadine Robert avait cet album dans sa bibliothèque personnelle.

3. Pierre l’intrépide

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Nadine Robert avait cet album de 1955 dans sa collection personnelle.

Pierre Lapin raconte l’histoire d’un lapereau intrépide, qui s’aventure dans le jardin de M. MacGregor au lieu de cueillir sagement des mûres. En plus du respect de la nature et de ses habitants, ce conte insiste sur l’importance de l’obéissance, une valeur plus en vogue en 1901 qu’aujourd’hui. « C’est vrai : c’est montrer par l’exemple ce qu’il ne faut pas faire, convient Nadine Robert. La fin fait réfléchir les enfants, parce que le pauvre petit Pierre est puni. Mais je trouve cette histoire encore pertinente. Comme éditrice, j’ai un faible pour les personnages un peu frondeurs. »

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Les prénoms des petits de Madame Lapin (Pierre, Flopsaut, Trotsaut et Queue-de-Coton) sont ceux de la version française. Image tirée de Pierre Lapin, texte de Beatrix Potter, illustrations de Leonard Weisgard, traduction de Dominique Fortier, éditions Le Lièvre de Mars.

4. Version québécoise

C’est l’autrice québécoise Dominique Fortier qui a traduit le texte, à partir de l’original en anglais. Déjà connus de bien des lecteurs, les prénoms des petits de Madame Lapin (Pierre, Flopsaut, Trotsaut et Queue-de-Coton) sont ceux de la version française de Gallimard. Le reste du conte a été adapté à la réalité québécoise, si bien que les lapins soupent au lieu de dîner.

Le style est aussi différent. Par exemple, dans l’édition française, on lit : « Mais des moineaux, entendant ses sanglots, vinrent se poser auprès de lui et le supplièrent de se ressaisir. » Dans l’édition québécoise, c’est plutôt : « Mais ses sanglots furent entendus par des moineaux qui volèrent vers lui, tout excités, et l’encouragèrent à se libérer. »

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Nadine Robert a retracé au Danemark les enfants de l’illustrateur Leonard Weisgard, mort en 2000.  Image tirée de Pierre Lapin, texte de Beatrix Potter, illustrations de Leonard Weisgard, traduction de Dominique Fortier, éditions Le Lièvre de Mars.

5. Chasse aux droits

Naïvement, l’éditrice Nadine Robert croyait que l’œuvre de Beatrix Potter, morte en 1943, était du domaine public. Or, « des marques déposées ont été enregistrées dans les années 80 », a-t-elle appris. Impossible de publier Pierre Lapin sans autorisation…

Un long travail d’enquête a commencé. Nadine Robert a découvert que le catalogue de l’éditeur d’origine, Grosset & Dunlap, avait été racheté par Penguin Random House, qu’elle a contactée. Sans réponse de cette gigantesque maison d’édition, elle a retracé au Danemark en 2017 les enfants de l’illustrateur Leonard Weisgard (mort en 2000). Ces derniers ont pu obtenir des bureaux new-yorkais de Penguin Random House une lettre officielle de rétrocession des droits sur les illustrations de leur père. « J’ai alors signé avec les enfants Weisgard, pour avoir les droits mondiaux des illustrations », raconte Nadine Robert.

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« J’ai décidé d’investir : on a numérisé les images, on a fait la mise en page et on a envoyé le résultat », explique Nadine Robert. Image tirée de Pierre Lapin, texte de Beatrix Potter, illustrations de Leonard Weisgard, traduction de Dominique Fortier, éditions Le Lièvre de Mars.

6. Se battre pour le texte

Il restait à obtenir l’accord de la division londonienne de Penguin Random House pour l’utilisation du texte de Pierre Lapin. « J’ai décidé d’investir : on a numérisé les images, on a fait la mise en page et on a envoyé le résultat, décrit Nadine Robert. Ça a demandé de la ténacité. À force de les achaler, ils ont dit oui. » Penguin Random House garde les droits mondiaux de la version anglaise de l’album, mais Nadine Robert peut le proposer dans les autres langues. Publié en français par Le Lièvre de Mars, l’album a déjà été vendu à la Russie et à la Slovénie. Prévue le 1er avril, la parution de Pierre Lapin a été repoussée au 1er juin par la COVID-19. Autant Pierre (Lapin) que Nadine (Robert) n’en sont pas à deux mois près…

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE WEISGARD

Leonard Weisgard au travail

7. Réaction de la famille Weisgard

« Toute la famille Weisgard est absolument ravie que la version de Peter Rabbit de notre père soit rééditée », a indiqué par courriel Abby Weisgard, l’une des enfants du dessinateur. « J’avais 3 ans lorsque le livre a été publié en 1955, mais je m’en souviens bien », a-t-elle précisé. Selon Abby Weisgard, « la version de Leonard semble toujours moderne – les illustrations sont belles, audacieuses et pleines de couleurs, souligne-t-elle. Je les décrirais comme étant ludiques. Elles nous touchent, sans être trop sentimentales ».