Depuis qu’ils sont confinés à la maison, les quatre enfants de Lisa Taïeb — Mélina, Sacha, Léa et Océane, âgés de 3 à 9 ans — aiment lire. Surtout les plus grands, évidemment. Ils relisent leurs albums, romans et bandes dessinées et en découvrent de nouveaux grâce aux prêts numériques, « puisqu’on ne peut plus aller chercher de livres à la bibliothèque », indique Lisa Taïeb.
Les enfants et adolescents lisent-ils plus en ces temps de pandémie de coronavirus ? La réponse n’est pas claire. Une chose est sûre : les emprunts de livres numériques par l’entremise des bibliothèques publiques ont explosé au Québec.
Dans le secteur jeunesse, l’augmentation est de 235 % pour les romans et albums, de 329 % pour les bandes dessinées et de 349 % pour les documentaires, en comparant la période du 1er mars au 16 avril 2020 avec la même période l’an dernier, selon Jean-François Cusson, directeur général de Bibliopresto. Cette forte demande se maintient depuis la fermeture des écoles et garderies, sans signe d’essoufflement.
Même engouement chez Bibliothèque et Archives nationales (BAnQ). « Nous constatons une augmentation marquée de la demande » d’emprunts de livres numériques jeunesse, dit Claire-Hélène Lengellé, responsable des relations avec les médias de BAnQ. Il faut dire qu’avec une offre de plus de 25 000 livres numériques jeunesse, il y a de quoi s’occuper jusqu’à la découverte d’un vaccin contre la COVID-19.
Relire Harry Potter
Julie Sabourin, mère de deux garçons, hésite à les mettre en contact avec les livres numériques. « C’est un écran de plus parmi les tonnes d’écrans potentiels », fait-elle valoir. Victor, son fils de 10 ans, « occupe beaucoup de son temps à relire les Harry Potter » en papier, pendant qu’elle télétravaille. Plus actif, Antoine, 8 ans, lit des bandes dessinées — surtout Garfield. « C’est nouveau pour lui de lire pour le plaisir, souligne Julie Sabourin. Ça donne des moments de calme touchants, mais ça ne dure pas très longtemps. »
Camille, 7 ans, vient aussi de découvrir le plaisir de la lecture. « Pour la première fois, grâce au confinement, elle a lu un livre seule et de sa propre initiative », témoigne Anne-Marie Fortin, sa mère. Camille et sa sœur s’approvisionnent dans les livres qu’elles ont à la maison et en échangent avec des voisins. Leur mère a aussi « une petite réserve cachée » qui servira quand la pile va se tarir, « commandée en ligne en même temps que les cahiers d’exercices scolaires », précise-t-elle.
Hausse des commandes en ligne
Même si les librairies ont verrouillé leurs portes, plusieurs continuent de proposer de vrais livres en ligne, qu’elles font justement… livrer. « Les ventes de livres parascolaires ont explosé et se maintiennent depuis plusieurs semaines, indique Émilie L. Laguerre, directrice des communications de Renaud-Bray. Depuis le début du confinement, les romans et albums jeunesse québécois sont également populaires. »
Pour répondre à la demande, Renaud-Bray dispose d’un énorme entrepôt, véritable caverne d’Ali Baba contenant plus de 200 000 titres en tous genres. Au besoin, l’approvisionnement se fait aussi dans les succursales fermées. L’opération n’est toutefois pas miraculeuse.
Les ventes en ligne ont augmenté sur Renaud-Bray.com et Archambault.ca, mais elles ne peuvent pallier la fermeture de 33 librairies Renaud-Bray et 15 succursales Archambault.
Émilie L. Laguerre, directrice des communications de Renaud-Bray
Le constat est aussi doux-amer pour la centaine de librairies indépendantes regroupées derrière le site transactionnel Leslibraires.ca. Les commandes postales de livres jeunesse ont bondi de façon phénoménale : de 1543 %, si on compare la période du 13 mars au 12 avril 2020 à la même période en 2019.
Les affaires vont très bien, « mais ça représente à peu près 25 % du chiffre d’affaires qu’on faisait avant » en librairie, indique Jean-Benoît Dumais, directeur général de la coopérative Les Librairies indépendantes du Québec. Son espoir est de fidéliser, après la crise, la clientèle qui a découvert le site transactionnel.
Déclin des ventes de livres jeunesse en 2019
Avant même la pandémie, les nouvelles n’étaient pas si bonnes. Les ventes de littérature jeunesse ont chuté de 4,9 % en 2019, selon le Bilan Gaspard du marché du livre au Québec, rendu public le 27 mars. Il s’agit d’une première baisse en huit ans d’existence de ce bilan. Il reste que 3,4 millions d’exemplaires de livres jeunesse ont trouvé preneur en 2019, pour des ventes totales d’une valeur de plus de 45 millions.
Les plus populaires ? En premier, La vie (toujours très) compliquée des deux Olivier : New York, de Catherine Girard-Audet, chez Les Malins. En deuxième ? Le tome 12 de La vie compliquée de Léa Olivier, de la même autrice.
Accentuer les inégalités
Elise Gravel figure aussi au palmarès des meilleures ventes de 2019, avec son tout-carton Une patate à vélo (au 7e rang).
En ces temps de confinement, l’autrice et illustratrice prédit « une chute drastique des ventes ».
Mon impression est que les enfants qui ont déjà le goût de la lecture et accès aux livres le font plus pendant le confinement, mais que les enfants qui n’aiment pas lire ou qui n’ont pas facilement accès à des livres à la maison lisent beaucoup moins que quand ils fréquentaient l’école.
Elise Gravel, autrice et illustratrice
Tout repose sur les parents. « Mon opinion est que la crise accentue les inégalités entre les enfants dans le domaine de la lecture comme dans tous les autres domaines éducatifs », observe Elise Gravel.
Nouveautés confinées
Ce n’est pas la joie chez les éditeurs. « On n’a pas eu de commentaires comme quoi les gens lisaient plus en ce moment, dit Alex Beausoleil, responsable de la promotion à La Pastèque. Notre distributeur a été fermé deux semaines et les commandes de réassort sont au minimum. »
« On peut déjà vous dire que la fermeture des librairies et le ralentissement des opérations chez notre distributeur créent une énorme baisse des ventes de notre côté, indique Marianne Dalpé, coordonnatrice aux ventes du Groupe d’édition La courte échelle. Sans compter que plusieurs nouveautés qui étaient à paraître dorment dans les entrepôts. » Lueur d’espoir, Marianne Dalpé remarque depuis une dizaine de jours « une légère hausse des commandes par les libraires ».
Il faut dire qu’avec le télétravail, le chômage ou le stress, bien des parents (et des jeunes !) lâchent prise. Avant la pandémie, les fils de 10 et 12 ans de Christine Villiard lisaient beaucoup. « Depuis le confinement, ce n’est plus le cas, admet-elle. Je contrôle moins les écrans, alors le temps qu’ils ont, ils le passent à regarder des youtubeurs. »
Christine Villiard a pourtant acheté des livres et fait des emprunts numériques pour ses garçons. « Malgré cela, constate-t-elle, il est difficile de les mettre à la lecture. »
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