(Paris) Oubliez James Bond, Jason Bourne ou Mission : Impossible. La vie d’espion n’a rien des clichés de films d’action auxquels le cinéma nous a habitués. C’est du moins ce que révèle Amaryllis Fox dans son livre Undercover, où elle relate ses huit années à la CIA. Nous l’avons rencontrée.

Elle a fait avorter des attentats terroristes, piégé des trafiquants d’armes, pactisé avec des talibans et flirté avec Al-Qaïda.

Un personnage de film ? Pas exactement. Amaryllis Fox existe vraiment, et elle raconte sa vie d’espionne dans le livre Undercover, dont la traduction vient de paraître au Québec.

En l’apercevant dans ce chic hôtel parisien, on ne peut s’empêcher d’être surpris. Cheveux longs ondulés, chemise ample, châle de laine sur les épaules, la femme de 38 ans ressemble plus à une prof de yoga en vacances qu’à une ancienne agente de la CIA.

Et pourtant. La dame a bel et bien été employée des services secrets américains. Entre 2002 et 2010, alors que la planète était à cran dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, elle a risqué sa vie pour protéger son pays. Jusqu’à se retirer du jeu progressivement, parce qu’elle souhaitait une vie « normale ».

Plus d’émotion et moins de bagarres

Évidemment, on a tous en tête les films de l’agent 007, avec ses courses-poursuites en moto sur les toits d’Istanbul ou ses bagarres à coups de stylos-gadgets avec des méchants au crâne chauve. Mais Mme Fox (c’est son vrai nom) jure que la vie d’espion est beaucoup moins « glamour » que ce que veut bien nous faire croire le cinéma. D’une part parce que la majorité du personnel fait surtout du travail de bureau, le nez sur un écran d’ordinateur, et d’autre part parce que les agents sur le terrain sont généralement beaucoup plus subtils que James Bond.

IMAGE TIRÉE DE L’INTERNET

Undercover – avoir vingt ans à la CIA, d’Amaryllis Fox, Lattès, 375 pages

« Avant de faire ce boulot, c’est aussi l’idée que je m’en faisais, explique Mme Fox en touillant son café. C’est dommage parce que ce stéréotype attire parfois les mauvaises personnes, des gens qui voient ce job comme un rôle. La réalité est très différente. »

Quand tu vois James Bond ou Jason Bourne, c’est très physique. Beaucoup d’explosions de scènes d’action. La réalité, c’est qu’en faisant des choses aussi spectaculaires, un espion se ferait tout de suite remarquer et sa couverture serait foutue pour le reste de sa carrière.

Amaryllis Fox

En réalité, explique Mme Fox, le travail d’espion est beaucoup plus une « bataille émotionnelle que physique ». Comprendre que si le danger est parfois bien réel, les aptitudes requises sont avant tout psychologiques. Dans Undercover, Mme Fox parle notamment beaucoup d’écoute, d’empathie. Elle est convaincue que ces qualités l’ont aidée à être plus efficace, et le croit d’autant plus qu’il lui aura fallu quelques années pour s’en rendre compte.

« Quand j’ai commencé, je n’étais pas particulièrement encline à écouter l’autre. On sortait du 11 septembre 2001 et j’étais plus intéressée par sa destruction. Ma vision a changé. J’ai découvert que cette méthode n’était pas viable parce qu’elle créait plus d’ennemis qu’elle en détruisait. Ce n’est pas de la gentillesse. D’un point de vue pragmatique, ça marche tout simplement mieux. C’est impossible de savoir ce que vos adversaires comptent faire et quelles seront leurs réactions si vous n’écoutez pas ce qu’ils ont à dire. »

Dans Undercover, une scène avec un chef taliban résume assez bien cette philosophie. Mme Fox parvient, en peu de temps, à créer une complicité avec son vis-à-vis et à éviter un attentat terroriste qui aurait fait des milliers de morts à Karachi, au Pakistan.

Peut-on parler d’une approche plus féminine ? Elle ne le nie pas. Puis en profite pour dénoncer la façon dont les femmes agentes secrètes sont représentées dans les films. « Soit il n’y en a pas, soit ce sont des femmes fatales. C’est dommage. Parce qu’il y a plein de jeunes femmes qui pourraient être démotivées par les films hollywoodiens. Ce sont des femmes qui cherchent une vocation. Qui ne cherchent pas à défoncer des portes avec des talons aiguilles, mais recherchent plutôt un dialogue dans le monde. »

Vie familiale

On lui demande si elle était une exception à la CIA, milieu qu’elle décrit par ailleurs comme assez sexiste. « Moins que vous le pensez », répond-elle. Car on trouve à la CIA « une grande diversité de profils et de personnalités », ce qui en fait d’ailleurs un « endroit très intéressant » où travailler, dit-elle. Ce qui ne l’empêche pas, du reste, de dénoncer les décisions trop « immédiates », parfois prises par ses supérieurs, dans un esprit de « destruction et d’écrasement ». Elle note cependant que son ancien employeur « recommence à croire dans l’investissement à plus long terme ». Le résultat, ose-t-elle croire, d’une augmentation du nombre de femmes à des postes clés.

En 2008, Amaryllis a donné naissance à une petite fille. Plus le temps passait, plus il est devenu clair pour elle que son job était incompatible avec la vie de famille (tu m’étonnes !). N’est pas Spy Kids ou les Incroyables qui veut. Elle s’est mise à ressentir la peur. À être consciente de sa propre mortalité. Professionnellement, elle a remis certaines valeurs en cause. Le doute s’est emparé d’elle. « Je voulais de l’authenticité, pas du secret. » Ceci expliquant cela, elle a décidé de quitter la CIA pour reprendre une vie de famille normale. Elle est aujourd’hui mariée avec Bobby Kennedy, petit-neveu de JFK.

Mais au fait… quitte-t-on si facilement la CIA ? Réponse simple : non. La preuve est qu’Undercover ne dit pas tout, loin de là. Sécurité nationale oblige, les noms, les dates, les lieux ont été changés. Certaines missions n’y sont pas racontées. La vérité y est, partielle, trafiquée, résultat de nombreuses négociations avec son ancien employeur.

« J’ai dû laisser tomber beaucoup de choses pour faire partager ce qui me semblait important, dans mon parcours à moi, avec mes jalons. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas pu dire. Il y a eu un an d’allers-retours entre mon bureau et ceux des services secrets avant qu’on me permette de publier. »

Comme quoi, même sorti de la secte, on y reste toujours lié. Contractuellement, s’entend.