Alors que le comportement des hommes de pouvoir d’hier et d’aujourd’hui est de plus en plus remis en question, deux livres qui nous arrivent de France se penchent sur des aspects méconnus de la vie de deux hommes illustres. La Presse s’est entretenue avec Christine Kerdellant, auteure de De Gaulle et les femmes, et Brigitte Kernel, auteure du roman Le secret Hemingway.

Dans Le secret Hemingway, Brigitte Kernel se glisse dans la peau de Gregory Hemingway, devenu Gloria, troisième enfant du célèbre écrivain, symbole de la virilité masculine. Elle lui donne une voix pour raconter son histoire tragique et leur relation tendue.

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Le secret Hemingway, de Brigitte Kernel, Flammarion, 320 pages

Pourquoi écrire sur ce sujet en ce moment ?

Mon livre précédent portait sur un séjour de Françoise Sagan à Key West. J’ai recherché des anecdotes, des descriptions de pêche au gros poisson. Tout à coup, je suis tombée sur l’histoire de Gregory Hemingway. Le personnage m’a ému, c’était un médecin, un homme extrêmement brillant, mal dans sa peau parce qu’il se sentait plus femme qu’homme. On ne parlait pas beaucoup de genre il y a trois ans, quand j’ai commencé mes recherches, à parler à des psychiatres, à des transsexuels à Paris, à des parents de transsexuels. Et aujourd’hui, on en parle beaucoup, mais on est loin du fait que ce soit admis dans la société. Dans un roman, on peut dire des choses essentielles et gratter là où ça fait mal.

Les actions de l’auteur de L’adieu aux armes ne sont-elles pas condamnables, vues du XXIe siècle ?

Quand on lit Une île à la dérive, on voit qu’Hemingway aimait terriblement Gregory. Mais il est mort en 1961 ; on était très loin de notre époque. On ne parlait pas du tout de ça. Le père de Gregory ne savait pas quoi faire. Il voulait que son enfant aille mieux en en faisant un homme, en lui faisant faire de la boxe. À l’époque, on avait même du mal à parler d’homosexualité.

PHOTO CLAUDE GASSIAN, FOURNIE PAR FLAMMARION

Brigitte Kernel, auteure du roman Le secret Hemingway

Certains critiquent l’appropriation de personnalités trans par des artistes hétérosexuels. Et pourtant, vous écrivez au « je » à propos de Gloria Hemingway.

Quand on écrit un roman, on peut se permettre beaucoup de choses parce qu’on est dans la fiction. On prend une histoire vraie et on en fait de la fiction. Je m’imaginais comment il était amoureux de telle ou telle personne, la météo qu’il faisait les jours où il s’est passé des choses dans sa vie. Mais là, on est en train de dire « il », mais c’est « elle », c’est Gloria.

Vous écrivez son nom de naissance, Gregory Hemingway.

J’y ai réfléchi avec mon éditeur. J’écris sur l’enfant Gregory, alors, forcément, on lui redonne son identité. Ceci dit, c’est compliqué. Devant ses enfants, Gloria est restée un père, même après son opération en 1995 [elle a eu huit enfants de quatre mariages et est morte dans une prison pour femmes de Miami en 2001, à 80 ans]. Elle ne s’est jamais prise pour une mère.