Tous les matins à 10 h, Ari Cui Cui lit une histoire à ses « petits biscuits », comme elle appelle les bambins. « Je dois faire quelque chose pour soutenir émotivement les enfants à travers ce confinement », explique Ariane Gauthier, la chanteuse et comédienne qui se cache sous les robes colorées d’Ari Cui Cui.

Les heures du conte en ligne se multiplient depuis que les garderies, les écoles – et les bibliothèques ! – sont fermées pour freiner la propagation du coronavirus. Certaines sont offertes par des comédiens, d’autres par des bibliothécaires, des libraires, des animateurs, des auteurs, etc.

Perte de 10 000 $ de revenus

Alain M. Bergeron, auteur des populaires séries Savais-tu ? et Billy Stuart, met en ligne des vidéos sur sa page Facebook, tous les mardis et jeudis à 10 h. Au programme : lecture d’albums et de romans, mais aussi anecdotes sur ses livres. « C’est un outil formidable, estime l’auteur de Victoriaville. On est chez nous et on peut jaser avec des gens jusqu’au Yukon et en Colombie-Britannique. C’est chouette ! »

Bien sûr, toutes les animations qu’Alain M. Bergeron devait faire ce printemps dans les écoles et bibliothèques ont été annulées. C’est une perte de 10 000 $ de revenus, qui lui donne le temps d’enrichir… sa présence en ligne. « Ça ne me rapporte absolument rien, dit l’auteur, mais ça a beaucoup d’écho auprès des parents. » Peut-être vont-ils commander certains de ses 293 titres en version numérique ou dans une librairie offrant la livraison ? 

Gratuité pandémique

« En ces temps de crise, la quête de gratuité est pandémique », constate Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). « Les éditeurs sont largement sollicités par un peu tout le monde, parents, enseignants, bibliothécaires, etc. », décrit-il. Chaque fois, ils demandent de céder des livres gracieusement, même si bien des auteurs, illustrateurs et éditeurs sont actuellement privés de revenus.

« Une utilisation non paramétrée ouvre la porte à un piratage massif, une diffusion incontrôlée d’œuvres, bref une activité tout à fait illégale », dit-il.

« La crise du coronavirus ne doit pas devenir une exception de plus à la Loi sur le droit d’auteur ou une occasion supplémentaire de solliciter des écrivaines et écrivains pour du travail gratuit », dénonce dans une lettre ouverte Laurent Dubois, de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ).

Solutions en ligne

Il est heureusement possible de divertir les enfants en respectant ceux qui font les livres. Créé dans l’urgence, le nouveau site Heureduconte.ca rassemble des lectures du conte virtuelles – enregistrées en version vidéo, audio ou en direct – conformes à la Loi sur le droit d’auteur. « On est venu agréger ce qui était déjà offert dans les bibliothèques et sur différentes plateformes », précise Eve Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec (ABPQ). Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et l’ANEL sont des partenaires dans cette initiative. « Pour toute autre demande, les éditeurs sont libres d’accepter ou non », précise Richard Prieur.

Au Canada anglais, l’Association of Canadian Publishers (l’Association des éditeurs canadiens) invite ses membres à autoriser les lectures en ligne destinées aux élèves nord-américains, dans le cadre du Read Aloud Canadian Books Program (Programme de lecture à voix haute des livres canadiens). Condition à respecter : que tout soit effacé au plus tard le 30 juin.

Donner accès aux livres

Pourquoi est-il important de diffuser des heures du conte en ligne, alors que l’offre vidéo est foisonnante ? « Les tout-petits ne sont pas en mesure d’avoir accès aux livres, de les lire eux-mêmes, rappelle Eve Lagacé. Outre le fait qu’il y a des parents qui travaillent, il demeure encore qu’il y a des parents qui sont moins à l’aise de lire. Il peut y avoir plein de cas de figure qui font en sorte que l’heure du conte est toujours nécessaire. »

Ari Cui Cui a d’abord conté sur Facebook et YouTube ses propres livres, publiés chez Dominique et compagnie. Puis, sa bibliothèque personnelle, celles de sa famille et de ses voisins ont été mises à contribution. « Les maisons d’édition sont très collaboratives et m’ont donné leur accord unanimement », précise Ariane Gauthier.

Aussi en France

En France, l’auteur jeunesse Michaël Escoffier a aussi lu en ligne certaines de ses œuvres depuis le début du confinement. Dont le pétaradant Tempête sur la savane, illustré par la Québécoise Manon Gauthier et publié chez D’Eux. « C’est par simple solidarité, je n’en tire aucun revenu », indique-t-il.

L’auteur ajoute que conter en ligne n’est pas son exercice préféré. Une lecture faite par des professionnels, « c’est quand même autre chose ! », s’émerveille-t-il. Il suffit de voir l’énergique interprétation d’Ouvre-moi ta porte, de Michaël Escoffier, qu’a faite la troupe de théâtre Confitures et cie sur YouTube pour s’en convaincre.

Formée en théâtre musical au cégep de Sainte-Thérèse, Ariane Gauthier compte poursuivre ses heures du conte jusqu’au retour des enfants à l’école et à la garderie. Elle a bricolé un décor dans son salon, avec du matériel de ses spectacles. « Nous nous débrouillons tous avec les moyens du bord pour le bien des enfants, souligne Ari Cui Cui. Leur imaginaire est une bulle sécuritaire qui les protège du climat de tension actuel. »