« Je pense que je suis brisée. J’ai l’automne à l’envers. En dedans au lieu d’en dehors. Humide, tiède dans le creux des joues. Du vent qui craque dans la cage thoracique. C’est octobre. Ma mère est morte et je n’ai pas encore pleuré. »

C’est avec cette prose forte et imagée que s’amorce Les falaises, un premier roman réussi et prenant de Virginie DeChamplain, qui ausculte les blessures du passé qui ne cicatrisent jamais totalement dans une langue teintée d’onirisme où forces de la nature et nature humaine valsent au gré des marées.

La mère de V., qui vit dans la Gaspésie profonde, dans une maison ayant appartenu à sa propre mère, s’est jetée du haut d’une falaise. Retournant dans l’endroit qui l’a vue naître, et qu’elle s’est appliquée à fuir depuis des années, la protagoniste entame un pèlerinage intérieur douloureux et vertigineux, mais non dénué de poésie. Troisième d’une génération de « femmes folles », elle trouve en elle, malgré elle, les traces de sa mère, mais aussi de sa grand-mère, dont elle découvre dans la cave de la maison les journaux intimes relatant une vie en apparence rangée où grondait sous la surface une puissante envie de liberté, que cette dernière finira par trouver dans les terres de ses ancêtres, en Islande.

Au cœur de cette maison où rodent les fantômes, V. établira son quartier général dans le salon aux fenêtres grandes ouvertes qui laissent entrer le vent froid d’automne, faisant écho à la tempête qui est à l’œuvre en elle. « J’ai trouvé des cahiers […], les ai placés par terre, en demi-cercle, autour de mon île. Je voulais les avoir tous devant moi, me trouver en plein centre. Le point d’où l’histoire part et où elle revient. »

Sentant en elle ce même « trou dans le ventre », héritage générationnel, V. descendra en elle-même, écumera sa colère, pour finir par y trouver le début d’une envie, celle de vivre, ou à tout le moins de réapprendre à vivre, notamment au contact de la « renarde rousse », Chloé, qui possède un bar dans le village. S’envolant à son tour en terres islandaises, elle partira à la recherche de cette falaise où apprivoiser son vertige intérieur, son « souffle coupé par le vide. » Et en remontant l’histoire familiale, elle permettra à la sienne de prendre son envol. 

On entre dans Les falaises comme la protagoniste entre, lentement, en elle-même, porté par le souffle et la souffrance muette d’une femme qui apprendra à jeter un regard neuf sur les choses et la vie. Au fil de chapitres assez courts, entrecoupés d’apartés poétiques, l’autrice nous amène avec elle dans ce voyage intérieur. Beau.