La relation souvent compliquée, voire malsaine, avec la figure maternelle est un sujet quasi inépuisable en littérature. Avec Menthol, son premier roman, Jennifer Bélanger aborde cette question de plein fouet, dans une écriture vaporeuse, truffée d’images qui nous collent longtemps à la peau.

La narratrice remonte le chemin d’une douleur sournoise qui l’accable « du jour au lendemain », l’immobilise au lit, avale tout, délitant au passage l’amour entre elle et sa blonde : « Ici, dans l’appartement, il y a une odeur qui se rabat sur elle-même. L’odeur est celle d’un corps abattu. On ne diagnostique pas tout de suite cette odeur, elle se propage davantage au fil des jours, occupe tout l’espace qui reste. C’est une aura, c’est plus que ça, elle entre dans les amours, entre V. et moi, partout. »

En se disséquant elle-même, cadavre vivant où elle survit « en cage, en otage de soi-même », elle ira jusqu’à toucher le nerf de la guerre : « Comment avouer que ma mère était ma maladie ? » Au fil des pages, la narratrice, jamais nommée, évanescente comme la fumée de la cigarette au menthol que sa mère lui soufflait, enfant, dans l’oreille pour la guérir d’otites, retrace le chemin de sa douleur, jusqu’à sa source mère, jusqu’à ce que l’inéluctable vérité de son existence se révèle enfin. « Je comprends aujourd’hui que l’odeur âcre était là depuis plusieurs générations, qu’elle suivait les femmes de ma famille, des corps qui s’épuisaient plus vite que la moyenne des corps », écrit-elle.

Elle fait ainsi l’autopsie d’une relation rongée d’avance, d’une mère « noyée en elle-même », qui habite « le fond du monde » et dont « l’amour corrosif » et inadéquat finira par la contaminer, comme le groupe sanguin qu’elle possède en commun avec elle ; « ce sang est une vraie plaie » qui pousse en elle « comme une mauvaise herbe », réalise- t-elle. Retraçant tant bien que mal un « passé qui vieillit mal » et faisant surgir ses souvenirs « qui n’ont jamais été développés », figés à jamais sur un négatif corrompu, la narratrice devient double, parfois étrangère à elle-même, alternant les passages au « je » et ceux où elle raconte l’histoire d’une « petite fille ».

Récit anxiogène débordant d’images morbides et nauséabondes et d’une poésie noire qui glace l’échine, Menthol n’est surtout pas l’histoire d’une réconciliation ou d’un pardon. C’est le constat implacable d’une vie brisée, qui a déjà entamé son processus de putréfaction, et qu’il ne reste plus qu’à nommer pour la faire, au moins, exister.

Menthol, Jennifer Bélanger, Héliotrope, 144 pages, ★★★½