Avec Pour qui je me prends, Lori Saint-Martin, connue comme romancière, mais aussi comme traductrice, offre un récit intimiste où elle révèle des pans de son histoire personnelle afin de mieux réfléchir à la notion d’identité. À travers ses réflexions tissées de métaphores, elle offre aussi, et surtout, une magnifique lettre d’amour aux langues, le français en particulier, et à leur pouvoir transformateur.

Elle a laissé derrière elle sa province, sa langue et même son nom afin de se réinventer complètement. Vivant au Québec depuis presque 40 ans, Lori Saint-Martin vient d’une famille unilingue anglophone prolétaire qui vivait dans une ville ouvrière de l’Ontario. Rien ne la prédestinait à devenir une universitaire lettrée francophile, professeure, traductrice saluée et reconnue (elle a traduit plus de 110 romans et essais, de l’anglais ou de l’espagnol au français, toujours avec son conjoint Paul Gagné) et romancière.

Sa vie, Lori Saint-Martin l’a réinventée avec force et détermination, désirant ardemment se défaire du joug d’une existence qui l’oppressait. C’est ce qu’elle raconte, par fragments, dans Pour qui je me prends, son deuxième roman après Les portes closes, publié en 2013.

Ce récit, elle le porte en elle depuis longtemps. Le voir enfin sur papier, dit-elle, « c’est beaucoup d’émotions ». « C’est ma vie qui est dedans. Mais ce n’est pas une autobiographie, car en écrivant sur sa propre vie, on fait quand même une construction. C’est un livre de création, avant tout. »

On ne peut pas trouver la vérité du passé, même si on la cherche.

Lori Saint-Martin

Un livre de réconciliation

Au-delà de l’anecdotique, Lori Saint-Martin a abordé ce livre comme un objet littéraire en soi. « J’avais le projet de l’écrire depuis longtemps, mais ce que je n’avais pas, c’était la forme. Les faits en soi peuvent être intéressants, ou pas, mais sans une forme littéraire, je n’avais pas envie de faire un petit récit factuel. J’avais envie de faire une transformation. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Plongeant dans la métafiction, le récit fait le pont entre le présent et le passé, emprunte une forme spiralée, circonvolutions descendant toujours un peu plus profondément dans les abysses de la mémoire. « J’écris comme ça, je creuse, progressivement. Je pense que la mémoire, aussi, a un mouvement comme ça, creuse, approfondit, par à-coups, un élément en entraînant un autre. C’est un peu ça que je voulais mimer, dans la construction du récit. »

Attablée à un café de Madrid, on suit le cours des réflexions de l’autrice, qui tente de refaire le fil de son histoire en « plongeant dans les eaux de l’écriture et du souvenir ». Réflexions qui deviennent des clés pour ouvrir, une à une, les portes de son passé. De page en page, se dévoile à elle une nouvelle vérité, qui vient en quelque sorte opérer une réconciliation, colmater la brèche qu’elle a ouverte dans son existence en abandonnant son passé, sa langue et sa famille pour être heureuse dans une nouvelle vie, son premier acte créateur, en quelque sorte.

Beaucoup plus qu’un livre de rébellion et de souffrance, c’est un livre de réinvention de soi, et de réconciliation avec soi-même, ses origines.

Lori Saint-Martin

« C’est toute une réflexion sur ce qu’est l’identité. C’est pour ça qu’il y a un jeu, par exemple, avec les miroirs, comme celui où je me vois dans le miroir du café. Mais est-ce qu’un reflet, c’est vraiment soi ? Et qu’est-ce que ça veut dire, se regarder ? Est-ce qu’on peut se voir, qu’est-ce qui est perceptible de l’intérieur vers l’extérieur ? Quand j’ai trouvé un certain nombre de “métaréflexions” comme ça, j’ai su que je pourrais faire le livre », raconte-t-elle.

Le français, un « coup de foudre »

« Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour pouvoir respirer alors que j’avais toujours étouffé. Je raconte, ici, l’histoire d’une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs », écrit Lori Saint-Martin dans la première page de son livre.

Née dans « une ville d’usines toute grise », Kitchener, en Ontario — un nom que, longtemps, elle s’est refusée à prononcer, tout comme son nom de famille, qu’elle a changé en déménageant au Québec —, la jeune Lori sent très jeune qu’elle est au mauvais endroit, qu’il lui faudra « partir pour survivre ». Mais c’est sa rencontre avec le français, à l’âge de 10 ans, véritable « coup de foudre », qui ouvrira pour elle les portes vers un nouveau monde, une nouvelle vie.

« C’était comme on se sent dans le cas d’un coup de foudre pour une personne, l’impression qu’on ne le savait pas, mais qu’on s’attendait. Pour moi, c’était cette espèce d’heureuse évidence, et un émerveillement devant la découverte de la langue française. »

Finalement, Pour qui je me prends se lit aussi comme une lettre d’amour aux langues — à la langue française, en particulier, mais aussi à l’espagnol, sa troisième langue, et à l’allemand, sa « langue fantôme » —, à leur pouvoir transformateur, révélateur de ces parcelles d’identité cachées à l’intérieur de soi.

« Je crois que si on est vraiment fasciné par une langue, une autre culture, c’est souvent une clé pour quelque chose en nous. Une clé, c’est une chose petite, mais très puissante pour sa taille. »

Le 8 mars à 15 h, la librairie Pantoute du Vieux-Québec et les Éditions du Boréal organisent une causerie en compagnie de Lori Saint-Martin et d’Émilie Choquet, qui vient de publier le roman Un espace entre les mains. Entrée gratuite.

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Pour qui je me prends, Lori Saint-Martin, Boréal, 192 pages