Le nouveau recueil de Danielle Fournier est un grand livre, triste et beau. Abandons explore le dédoublement, le mystère de l’autre en soi qu’on ne reconnaît plus, ce qui n’empêche aucunement de « descendre sur la blessure du monde » et de faire acte de résistance.

Abandons est la face ombragée d’effleurés de lumière (2009), autre recueil en prose poétique, portant aussi sur le double en soi, qui cherchait alors « surtout la vie ». La poète côtoie davantage la mort cette fois. Dans son « corps déshabité », la narratrice cherche la consolation, apprend-on dès le départ.


Comme dans effleurés…, il n’y a pas qu’une seule voix dans le recueil. Le « ils » dans le premier devient un « elle » dans le second. La narratrice est ainsi ponctuellement décrite et commentée en lettres italiques par, qui sait, l’autre femme en elle.


Poésie pour le temps présent, ce « monde abattoir » qu’on peine souvent à comprendre, Abandons plonge dans le corps et la chair puis s’élève avec une langue riche, surprenante, presque métaphysique en raison de la possibilité d’« univers parallèles ».


Chaque geste décrit, chaque phrase écrite se déploie alors comme dans un film au ralenti où la caméra est à la place des yeux et le microphone sur le pouls du vivant.


Si le verbe de Danielle Fournier nous amène au-delà du quotidien, arbres et animaux, plantes, pluie et elfes existent également. Ils représentent probablement l’« infranchissable rempart » contre le vide, l’ennui et l’enfermement.


« Je suis les lettres d’un livre qui n’existe pas », glisse la narratrice dans son pays brûlé de pure poésie. Les doutes et le désarroi de cette « femme qui ne se reconnaît plus dans sa propre image » nous atteignent de plein fouet.


Mais l’autre en elle, serait-ce la mort qui la tient par la main ? Le livre suggère une fusion entre les deux voix. L’une ne sait plus si elle parle de l’autre ou d’elle-même.


En fait, elle est « Personne ». Seule. Quelques souvenirs réconfortants n’y changeront rien. Mais la véritable peine, conclut-elle, se trouve dans le fait que la « pensée se défait ».


À la fin, pourtant, « chaque matin est une victoire silencieuse sur la mort ». La vie est là et elle recommence.


L’occasion est trop belle pour ne pas souligner, justement, le recommencement dynamique qui se déroule en ce moment chez Triptyque.


À cet égard, la maison nous a aussi donné le premier recueil de Virginie Savard, Formes subtiles de la fuite, belle découverte de janvier. La jeune poète cherche à « brûler plus fort ». Sa poésie fiévreuse fait écho à celle de Danielle Fournier en confiant qu’« il ne restera plus d’espace / entre mes os / pour l’absence ».

★★★★

Abandons, de Danielle Fournier, Triptyque, 86 pages.