Pourquoi posons-nous des gestes que nous savons pourtant inacceptables et éthiquement condamnables ? Pour Thomas O. St-Pierre, c’est avant tout une question de gestion de la culpabilité.

Dans Absence d’explosion, un roman campé dans une faculté universitaire, l’auteur nous propose une série de portraits tous plus impitoyables les uns que les autres. C’est le bal des ego sur fond de jalousie, d’hypocrisie et d’infidélité. Ça se passe dans une faculté, mais ça pourrait se passer dans n’importe quel milieu de travail. Car rien ne ressemble plus à un humain imparfait… qu’un autre humain imparfait. Entrevue avec un auteur pour qui la littérature est un exercice pour mieux sonder l’âme humaine.

Disons-le d’emblée, on a savouré chaque page du quatrième roman de Thomas O. St-Pierre.

Impossible de ne pas reconnaître nos semblables dans les personnages de La Faculté imaginée par cet ancien prof de philosophie : on a déjà croisé ce professeur qui jalouse ses collègues et croit que toutes les récompenses lui sont dues; on reconnaît ce jeune chercheur en pleine ascension professionnelle qui trompe sa femme pour tromper son vide intérieur, ou cet intellectuel qui regarde de haut les médias et les salons du livre qu’il juge d’un vulgaire…

Ceux et celles qui le lisent depuis un moment savent que St-Pierre est un fin observateur des mœurs contemporaines. Dans ce roman, il se surpasse. Et le milieu universitaire est un lieu extraordinaire pour mettre en scène ces archétypes de la vie moderne. « À l’exception de Scrapbook de Nadine Bismuth, je trouvais que le milieu universitaire n’avait pas été si exploité, note-t-il en entrevue. Comme le sport, c’est un domaine de haute performance. Et les professeurs sont comme des athlètes de haut niveau. Je trouvais qu’il y avait un filon à exploiter. » La Faculté dans Absence d’explosion est également un milieu très macho où les femmes sont presque considérées comme suspectes ou comme des impostrices. « Le milieu des sciences humaines est très masculin, confirme St-Pierre. Les femmes n’y sont pas toujours les bienvenues et je voulais exprimer ça aussi. »

Dans chaque chapitre de son roman, Thomas O. St-Pierre met donc en scène un professeur de La Faculté. On entend sa voix intérieure. Ses réflexions sont truffées de références à l’art, à l’architecture, à la sociologie, etc. Les chapitres sont entrecoupés de digressions dans lesquelles l’auteur s’amuse à « philosopher », citant Cioran, Diderot et Aristote. Ça pourrait être lourd, mais c’est plutôt intelligent.

Le regard que pose le jeune romancier sur ses contemporains est à la fois lucide et décapant. 

En s’analysant soi-même, on arrive à comprendre les autres. Moi, c’est avant tout la psychologie des individus qui m’intéresse.

Thomas O. St-Pierre

Le romancier s’est amusé à placer ses personnages face aux dilemmes moraux du quotidien. En effet, chaque jour, nous pouvons choisir d’être honnêtes, aimants, fidèles, droits. Et pourtant, la plupart d’entre nous font surtout preuve d’égoïsme. C’est ce qui intéresse St-Pierre, qui estime que la quête de la vertu est vouée à l’échec. L’humain choisira toujours de combler ses besoins personnels avant toute considération pour les autres. « […] dans la très grande majorité des cas, écrit-il, quand nous demandons conseil, ce n’est pas par incapacité à distinguer le bien du mal, mais tout simplement pour être conforté dans la décision que nous avons déjà prise : être moins vertueux que nous devrions l’être, être aussi égoïste que nous avons envie de l’être. »

Décevant, l’être humain ? L’écrivain assure qu’il éprouve de la tendresse pour ses personnages. « Je ne les présente pas sous leur meilleur jour, reconnaît-il, mais j’essaie d’être le plus neutre possible. On est tous égoïstes, et le lecteur s’identifiera à certains raccourcis que les personnages prennent. On éprouve tous un certain soulagement à voir que les autres sont comme nous, finalement. Il y a un réconfort à savoir qu’on n’est pas des monstres, qu’on est normaux. »

Nous sommes des animaux

Si l’étiquette n’était pas aussi péjorative, on dirait de Thomas O. St-Pierre qu’il est un moraliste. Bien sûr, il a lu La Bruyère et Montaigne, mais il préfère la fiction. « Ce que j’aime dans la philo, c’est la littérature », dit celui dont la bibliothèque est garnie des romans d’Italo Svevo, de Marcel Proust et de Milan Kundera, avec qui il partage une douce ironie. « J’aime regarder les autres avec distance et avec une certaine clémence, poursuit-il. On a tendance à être durs avec nous-mêmes. Pour moi, l’écriture a une fonction thérapeutique. Elle m’aide à me comprendre. »

Pour son auteur, Absence d’explosion est donc un exercice de sagesse, une réflexion sur notre incapacité à y accéder. « L’idée de départ, c’est que dans la vie, on est tous des gros bébés, explique Thomas O. St-Pierre. C’est un livre sur notre absence de sagesse. Les professeurs de philo de mon roman sont de grands intellectuels qui ont plein de connaissances, ils devraient être de grands sages, mais ce sont, eux aussi, de gros bébés. Au fond, la sagesse est impossible. Nous sommes tous des animaux et nous essayons de nous bricoler un sens et de nous arranger avec. »

IMAGE FOURNIE PAR LEMÉAC

Absence d’explosion, de Thomas O. St-Pierre, Leméac, 144 pages.