On peut écrire la violence faite aux femmes de bien des façons.

Vanessa Springora l’a racontée en témoignant des abus subis par un prédateur pédophile dans Le Consentement.

Constance Debré a pour sa part décrit comment son ex-mari, appuyé par le système judiciaire, l’a éloignée de son fils dans Love Me Tender.

Nina Bouraoui, elle, donne la voix aux femmes dites « ordinaires » qui vivent toutes sortes de petites violences au quotidien et qui, pour la plupart, continuent d’avancer la tête haute, dignes. Jusqu’au jour où elles n’en peuvent tout simplement plus…

Sylvie Meyer a 53 ans. Mère de deux garçons, son mari l’a quittée il y a un an. Jusqu’ici, une histoire banale.

Sylvie travaille dans une usine de caoutchouc. Employée fiable, elle n’a pas failli après son divorce, n’a pas dit un mot plus haut que l’autre, n’a pas craqué. Appréciée de son patron, elle continue d’être celle sur qui on peut compter. Jusqu’au jour où ce patron, sans aucun égard pour elle, lui demande quelque chose qui va à l’encontre de ses valeurs profondes. Alors là, la marmite explose.

La patience des femmes a des limites, et Sylvie a atteint la sienne.

Elle disjoncte et retient son supérieur « en otage » dans son bureau. Et lui déverse un trop-plein accumulé durant toute une vie (on pourrait même dire accumulé par toutes les femmes depuis la nuit des temps). Dans un long monologue, cette femme profondément blessée hurle sa douleur. Tout y passe : la condition féminine, la lutte des classes, la violence psychologique dans les milieux de travail, la misogynie, la brutalité de l’abandon, l’invisibilité des femmes vieillissantes, l’agressivité silencieuse de l’homme blanc bien assis sur ses privilèges, bien satisfait de lui-même, inconscient de l’impact de ses gestes.

Au beau milieu de cette logorrhée verbale, Sylvie révèle aussi un traumatisme de jeunesse qu’elle avait enfoui jusqu’ici.

Nina Bouraoui avait d’abord écrit ce texte pour le théâtre en 2015. Cinq ans plus tard, Otages résonne encore plus fort étant donné le contexte politique et social en France.

Le pays est déchiré par les grèves, les manifestations des gilets jaunes, le débat entourant la retraite et, bien sûr, le mouvement #metoo. Comme Sylvie Meyer, la France est en train d’imploser.

Le texte de Bouraoui participe à cette profonde remise en question des clans, des castes et des droits acquis qui définissent la France, encore aujourd’hui.

Il touche également sa cible en donnant une voix aux femmes qui subissent des injustices jour après jour, sans jamais se révolter.

Otages est un texte qui décape la France d’aujourd’hui avec de l’acide. Et qui, une fois le squelette mis à nu, gratte l’os avec une lame bien affûtée… Le cri de Sylvie Meyer n’est pas agréable à entendre, mais il est nécessaire. Parce qu’il y a des limites à encaisser en silence.

★★★½

Otages, de Nina Bouraoui, JC Lattès, 170 pages.